L’article de Jack Alexander sur les AA

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Les Alcooliques Anonymes sont une association d’hommes et de femmes qui partagent entre eux leur expérience, leur force et leur espoir dans le but de résoudre leur problème commun et d’aider d’autres alcooliques à se rétablir. 

• Le désir d’arrêter de boire est la seule condition pour devenir membre des AA. Les AA ne demandent ni cotisation ni droit d’entrée ; nous nous finançons par nos propres contributions. 

• Les AA ne sont associés à aucune secte, confession religieuse ou politique, à aucun organisme ou établissement ; ils ne désirent s’engager dans aucune controverse ; ils n’endossent et ne contestent aucune cause. 

• Notre but premier est de demeurer abstinents et d’aider d’autres alcooliques à le devenir. 

 

 

L’article de Jack Alexander … sur les AA

NOTE

La publication de l’article intitulé «Les Alcooliques anonymes», par Jack Alexander, dans le numéro du Saturday Evening Post du premier mars 1941, a marqué l’histoire de ce Mouvement.

Bien qu’un article diffusé à l’échelle nationale ait été publié auparavant, le reportage du Post sur la poignée d’hommes et de femmes qui étaient parvenus à l’abstinence grâce aux AA a été, en grande partie, à l’origine d’une vague d’intérêt qui a fait connaître l’association au pays et à l’étranger.

Le reportage du Post est un rappel de l’évolution des AA dans un laps de temps relativement court. En 1941, environ 2 000 hommes et femmes vivaient avec succès le programme des AA. Aujourd’hui leur nombre dépasse près de deux millions et plus de 118 000 groupes se réunissent régulièrement partout aux États-Unis et au Canada, ainsi que dans 180 autres pays.

Dans son reportage publié en 1941, Jack Alexander parle de l’esprit d’humilité et de service qui caractérise le programme des AA et ceux qui le mettent en pratique. Les Alcooliques anonymes ont connu une croissance énorme depuis ce temps. Mais la pierre angulaire de notre association, c’est la certitude qu’il nous faut continuer à servir nos frères alcooliques dans un esprit d’entraide et de modestie.

C’est dans cet esprit que cet article historique est reproduit, à l’intention des membres, anciens et nouveaux, qui sont désireux de connaître les débuts des Alcooliques anonymes. Nous rappelons à nos lecteurs que cet article a été publié pour la première fois en mars 1941, alors que les AA avaient moins de six années d’existence. Les dates références chronologiques ainsi que le nombre de membres faisant partie des différents groupes qui y sont mentionnés doivent être lus en tenant compte de ce facteur.

L’aide que John D. Rockefeller Jr. a apporté au Mouvement naissant est mentionnée aux pages 15 et 16. Bien que modeste, cet appui a été important pour les AA durant ces premiers jours difficiles. Mais l’observation de «John D.» était peutêtre plus importante encore. Il croyait que les AA devaient se suffire à eux-mêmes — et c’est ce qui a conduit à la Tradition unique et essentielle de l’autonomie financière. 

    Aujourd’hui, les Services mondiaux des AA se financent entièrement par les contributions des groupes et des membres, et par les revenus provenant de la vente de livres et de brochures. 

    Le Bureau des Services généraux a maintenant des locaux plus vastes ; il engage des membres des AA et des non-membres, tous dévoués au Mouvement. La Fondation alcoolique est devenue le Conseil des Services généraux des Alcooliques anonymes. Il est composé de vingt-et-un administrateurs, dont sept ne sont pas membres des AA. La simple structure qui s’est avérée si importante pour la croissance des AA n’a pas beaucoup changé depuis la publication de l’article de Jack Alexander en 1941. 

 

Les Alcooliques anonymes 

PAR JACK ALEXANDER 

Il y a quelques semaines, un après-midi, trois hommes se trouvaient autour du lit d’un malade alcoolique de l’aile psychiatrique de l’hôpital général de Philadelphie. L’homme qui était couché, un parfait étranger, avait le regard vide et légèrement hébété qu’ont les alcooliques qui sortent d’une longue beuverie. La seule chose qui distinguait les visiteurs, à l’exception du contraste évident entre leur apparence soignée et celle du malade, était que chacun d’eux avait à maintes reprises vécu la même agonie. Ils étaient membres des Alcooliques anonymes, un groupe d’ex-buveurs qui se consacrent à aider d’autres alcooliques à arrêter de boire. 

    L’homme dans le lit était mécanicien. Ses visiteurs, eux, avaient fait leurs études aux universités de Princeton, Yale et Philadelphie, et étaient respectivement vendeur, avocat et publicitaire. L’un d’eux avait été enfermé dans ce même établissement moins d’un an auparavant. L’autre avait été ce que les alcooliques appellent un «habitué» des maisons de santé. Il était passé de l’une à l’autre, causant le désespoir du personnel des principaux établissements du pays spécialisés en traitement de l’alcoolisme. Le troisième, qui n’avait jamais été hospitalisé pour alcoolisme, s’était détruit par l’alcool pendant vingt ans, rendant la vie impossible à sa famille et à ses employeurs ainsi qu’à d’autres parents bien intentionnés qui avaient eu la témérité d’intervenir. 

    La senteur du paraldéhyde, un cocktail désagréable à l’odeur d’alcool et d’éther dont on se sert parfois dans les hôpitaux pour sevrer un buveur et lui calmer les nerfs, envahissait toute la salle. Les visiteurs ne semblaient pas en être incommodés, pas plus que l’atmosphère déprimante qui règne dans toutes les ailes psychiatriques des hôpitaux, même les plus agréables. Il ont fumé et conversé avec le patient pendant une vingtaine de minutes, puis sont partis en laissant leur carte de visite. S’il voulait voir l’un d’eux, lui ont-ils dit, il n’avait qu’à téléphoner. 

    S’il désirait réellement cesser de boire, ont-ils ajouté, sur un simple appel de sa part, ils interrompraient leur travail ou se lèveraient au milieu de la nuit pour venir le rejoindre. S’il choisissait de ne pas téléphoner, l’affaire serait close. Les Alcooliques anonymes ne harcèlent ni ne tentent de séduire les candidats récalcitrants, connaissant par expérience tous les subterfuges et faux-fuyants qu’utilisent les alcooliques, exactement comme les escrocs réhabilités connaissent l’art de rouler les gens. 

    C’est là que réside la force unique d’un mouvement qui, au cours des six dernières années, a amené plus de 2 000 hommes et femmes à se rétablir et dont un large pourcentage avait été jugé sans espoir par la médecine. Travaillant ensemble ou séparément, les médecins et gens d’église ont toujours réussi à réchapper quelques cas. Bien que rarement, certains buveurs ont trouvé leur propre méthode pour arrêter de boire. Mais les percées de la médecine dans le domaine de l’alcoolisme sont minimes et il demeure une des grandes énigmes de la santé publique. 

    L’alcoolique, susceptible et méfiant de nature, préfère qu’on le laisse tenter de résoudre seul son problème. Il a une façon commode d’ignorer le drame qu’entre-temps il inflige à ses proches. Même s’il n’en a jamais été capable, il se cramponne désespérément à l’idée qu’il finira par contrôler sa consommation d’alcool. L’alcoolique, un des phénomènes médicaux les plus incompréhensibles, possède généralement une intelligence remarquable. Il dresse autour de lui des murs qui empêchent les professionnels et ses proches de le secourir, et retire une satisfaction perverse de ses arguments inattaquables. 

    Il n’existe aucun prétexte pour boire que les experts en situations délicates des Alcooliques anonymes ne connaissent ou n’ont eux-mêmes utilisé. Lorsqu’un de leurs candidats leur présente un raisonnement irréfutable pour justifier sa consommation d’alcool, ils la contrent par une demi-douzaine d’autres de leur propre cru, ce qui le choque un peu et l’amène à prendre une attitude défensive. Observant leurs tenues soignées et leurs visages bien rasés, il les accuse d’être des petits bourgeois incapables de comprendre ce qu’est le combat contre l’alcool. En guise de réponse, ils lui racontent leurs propres expériences: les whiskys doubles et le cognac avant le petit déjeuner, le malaise qui précède une cuite, le réveil brumeux alors qu’on ne peut se rappeler ce qui s’est passé depuis plusieurs jours et la peur bleue d’avoir écrasé quelqu’un avec sa voiture. 

    Ils parlent de ces flacons de gin camouflés derrière des tableaux ou dans d’autres cachettes, de la cave au grenier; des journées entières passées dans des salles de cinéma pour tenter de chasser l’obsession de boire ; des esquives furtives du bureau pour se taper quelques verres durant la journée. Ils parlent des emplois perdus et de l’argent volé dans les sacs à main de leurs femmes; du poivre versé dans le whisky pour lui donner du piquant; des bières fortes prises avec des sédatifs, ou des rince-bouche et des lotions capillaires; de l’habitude de se poster devant le bistro du coin dix minutes avant l’ouverture. Ils décrivent leurs mains si tremblantes qu’ils ne pouvaient porter un verre à leurs lèvres sans renverser les trois-quarts du contenu; comment ils buvaient de l’alcool dans des bocks à bière, au risque de s’ébrécher une dent, juste parce que ces derniers peuvent être tenus à deux mains ; comment faire une poulie avec une serviette pour tirer un verre jusqu’à la bouche en attachant un bout autour du verre et l’autre autour du cou; ils parlent de leurs mains si tremblantes qu’elles semblaient vouloir se détacher et voler dans les airs et disent qu’ils devaient s’asseoir dessus pendant des heures pour les en empêcher. 

    Ceci, en plus de quelques bonnes histoires de cuites, réussit généralement à convaincre l’alcoolique qu’il s’adresse à des frères de sang. Un pont de confiance est ainsi jeté, comblant ce fossé d’incompréhension qui avait jusqu’à maintenant confondu le médecin, le prêtre, le pasteur et la famille infortunée. Par ce pont de communication, les membres des Alcooliques anonymes font passer petit à petit les principes d’un programme de vie qui leur a réussi et qui, pensent-ils, peut aider tout autre alcoolique. Seuls les psychopathes et ceux dont le cerveau est atteint de façon irrémédiable sont exclus de leur champ d’action. Par la même occasion, ils voient à ce que le candidat reçoive l’attention médicale qui pourrait lui être nécessaire. 

    À travers tout le pays, maintenant, de nombreux médecins ainsi que le personnel d’établissements de santé recommandent les Alcooliques anonymes à leurs patients alcooliques. Dans certaines villes, les tribunaux et les autorités collaborent avec le groupe local. Dans d’autres, les travailleurs des AA ont les mêmes droits de visite que les employés dans les ailes psychiatriques. Celle de l’Hôspital général de Philadelphie est l’une d’elles. Le directeur des services psychiatriques, le Dr John Stouffer, déclare: «En général, les alcooliques que nous recevons ici ne peuvent défrayer les coûts des établissements privés, et le contact avec les membres des AA est ce que nous avons pu leur offrir de meilleur. Nous remarquons une transformation profonde, même chez ceux qui récidivent. Ils sont métamorphosés.» 

    Dans son éditorial de décembre dernier, le Illinois Medical Journal va encore plus loin que le Dr Stouffer: «Voir une personne passer toute une nuit au chevet d’un alcoolique et, selon l’ordonnance médicale, lui faire boire des petites doses d’alcool à intervalles réguliers sans en boire ellemême une seule goutte, alors qu’elle a elle-même passé des années sous l’influence à peu près continue de l’alcool et en qui ses amis avaient perdu toute confiance, cela tient du miracle!» 

    Les Alcooliques anonymes, par leur travail, semblent voués à revivre certains aspects des contes des Mille et Une Nuits. Ceci implique, en plus de veiller l’alcoolique, de s’asseoir carrément sur lui pendant de nombreuses heures, car l’impulsion de se jeter par la fenêtre semble irrésistible à nombre d’alcooliques ivres. Il n’y a qu’un alcoolique qui puisse rester ainsi accroupi pendant des heures sur la poitrine d’un autre alcoolique, dosant la fermeté et la sympathie. 

    J’ai rencontré, lors d’un récent voyage dans l’Est et le Middle West, des dizaines de ces AA, ainsi qu’ils se nomment entre eux, et j’ai trouvé qu’ils étaient remarquablement posés et tolérants. D’une certaine manière, ils paraissaient mieux intégrés que la moyenne de non-alcooliques. La transformation de ces personnes, qui auparavant se battaient avec les policiers, buvaient de l’alcool à ríchaud et, dans certains cas, violentaient leurs femmes, était saisissante. À l’un des plus importants journaux de la région, j’ai appris que le rédacteur en chef pour les affaires municipales, ainsi que son assistant et un des reporters de réputation nationale étaient tous trois membres des AA et que leur éditeur avait en eux une confiance absolue. 

    Dans une autre ville, j’ai vu un juge confier un alcoolique à la tutelle d’un membre des AA. Ce dernier, à l’époque où il buvait, avait provoqué de nombreux accidents de voiture et s’était vu retirer son permis de conduire. Le juge le connaissait bien et était heureux de lui faire confiance. Le brillant directeur d’une maison de publicité a révélé qu’à peine deux ans auparavant, il était clochard et dormait sous les porches des bâtiments surélevés. Il avait son porche favori qu’il partageait avec d’autres vagabonds. De temps en temps, il retourne leur rendre visite, juste pour s’assurer qu’il ne rêve pas. 

    À Akron ainsi que dans d’autres centres industriels, les groupes comprennent une parte importante d’ouvriers. Au club athlétique de Cleveland, j’ai déjeuné avec cinq avocats, un comptable, un ingénieur, trois vendeurs, un agent d’assurances, un acheteur, un barman, un directeur de magasin à succursales, le directeur d’un magasin indépendant et un agent manufacturier. Ils étaient tous membres d’un comité central qui coordonne le travail de neuf groupes de la région. Cleveland, avec plus de 450 membres, est le plus important centre des AA. Viennent ensuite Chicago, Akron, Philadelphie, Los Angeles, Washington et New York. En tout, il existe des groupes dans une cinquantaine de villes. 

    Quant à leur travail de sauvetage, les membres des AA ont déclaré qu’il constituait pour eux une «police d’assurance». L’expérien-ce du groupe a démontré, ont-ils dit, qu’un buveur rétabli risque de retourner à la bouteille dès qu’il ralentit ce genre d’activité. Il n’existe pas d’ex-alcoolique, ont-ils admis. Si l’on est alcoolique, c’est-à-dire incapable de consommer de l’alcool de façon normale, on le demeure toute sa vie, exactement comme un diabétique le restera toute sa vie. Ce que l’alcoolique peut espérer de mieux est de demeurer abstinent, son effort de sauvetage de buveurs lui servant d’insuline. C’est du moins ce qu’affirment les membres des AA, et l’opinion médicale tend à leur donner raison. Presque tous disent avoir complètement perdu l’envie de boire. La plupart gardent de l’alcool à la maison et en offrent à leurs visiteurs. Ils continuent aussi à fréquenter des bars avec des compagnons qui consomment de l’alcool, se contentant euxmêmes de boissons non alcoolisées et de café. 

    L’un d’eux, qui occupe un poste de directeur des ventes, joue le rôle de barman lors d’une fête annuelle de sa compagnie à Atlantic City et il passe ses nuits à soigner les fêtards qui boivent trop. Parmi les buveurs rétablis, rares sont ceux qui oublient qu’ils pourraient facilement, sans presque s’en rendre compte, prendre un verre qui les entraînerait fatalement dans une beuverie dévastatrice. Un membre des AA, employé comme commis dans une ville de l’Est, dit devoir encore presser le pas lorsqu’il passe devant les cafés pour écarter l’ancienne impulsion, même s’il n’a pas pris un verre depuis plus de trois ans et demi ; mais c’est vraiment là une exception. Les seules séquelles de jours d’ivresse qui tourmentent le membre des AA sont un cauchemar qui revient sporadiquement, dans lequel il se voit dans une soûlerie monumentale, tâchant de cacher son état à son entourage. Dans la plupart des cas, même ce symptôme disparaît assez rapidement. Chose étonnante, parmi ces gens à qui l’alcool a fait perdre emploi sur emploi, il y en a environ 90 % qui travaillent. 

    Les membres des Alcooliques anonymes prétendent que leur taux de succès est de 100 % auprès des alcooliques mentalement sains qui ont un désir sincère d’arrêter de boire. Le programme ne réussira pas, disent-ils, pour ceux qui «désirent vouloir arrêter» de boire seulement ou qui désirent cesser juste parce qu’ils ont peur de perdre leur famille ou leur emploi. Le désir vrai, disent-ils, doit être fondé sur un intérêt personnel bien compris. L’intéressé doit vouloir se débarrasser de l’alcool pour éviter l’internement ou la mort prématurée. Il doit en avoir assez de cet isolement social qui est le lot des buveurs invétérés et il doit aussi vouloir remettre de l’ordre dans sa vie détraquée. 

    Puisqu’il est impossible de disqualifier les postulants qui ne sont pas entièrement honnêtes dans leur démarche, le pourcentage réel de réussite retombe en dessous du 100%. Selon les membres des AA, 50% des alcooliques pris en main cessent de boire presque sur-le-champ, 25% se rétablissent après une ou deux récidives, et avec le pourcentage restant, les résultats sont douteux. Ce taux de succès est exceptionnellement élevé. Il n’existe pas de statistiques sur les taux de relèvements réussis par la médecine traditionnelle et la religion, mais on les estime entre deux et trois pour cent. 

    Bien qu’il soit prématuré d’affirmer que les AA apportent la solution définitive au problème de l’alcoolisme, les résultats obtenus dans un si bref délai sont impressionnants et ils reçoivent un appui optimiste. John D. Rockefeller Jr. les a aidés à défrayer les dépenses d’implantation et a fait des démarches pour rallier d’autres personnalités éminentes à leur cause. 

    La contribution de Rockefeller était petite, par respect pour les fondateurs du Mouvement, qui tenaient avec insistance à ce qu’il opère sur une base volontaire et bénévole. Les organisateurs ne sont pas rémunérés; il n’y a pas de cotisations, pas de directeurs et pas de contrôle central. Sur le plan local, les collectes faites à chaque réunion servent à payer la location des salles de rencontre. Dans les petites municipalités, il n’y a pas de collecte, les réunions ayant lieu dans des domiciles privés. Un petit bureau dans le centre de New York sert simplement à recueillir et donner l’information. Il n’y a aucune inscription sur la porte et le courrier y est acheminé d’une façon anonyme, via une boîte postale. Leur seul revenu, obtenu par la vente d’un livre décrivant leur programme, est géré par l’Alcoholic Foundation dont le conseil est composé de trois alcooliques et de quatre non-alcooliques. 

    À Chicago, vingt-cinq médecins travaillent de concert avec les AA, offrant gracieusement leurs services et dirigeant leurs propres patients alcooliques vers les groupes, qui comptent maintenant environ deux cents membres. La même collaboration existe à Cleveland et, plus modestement, dans d’autres villes. Un médecin de New York, le Dr W.D. Silkworth, a été le premier à encourager le Mouvement. De nombreux médecins demeurent cependant encore sceptiques. Par contre, le Dr Foster Kennedy, éminent neurologue new-yorkais, faisait certainement allusion aux AA lorsqu’il y a un an, à une réunion, il déclarait: «Le but des gens qui s’impliquent dans cette lutte contre l’alcoolisme est noble, leur succès a été considérable et je crois fermement que tous les médecins bien intentionnés devraient collaborer.» 

    Le dynamique concours de deux médecins de bonne volonté, les Drs A. Wiese Hammer et C. Dudley Saul, a beaucoup contribué à faire de la section de Philadelphie une des plus efficaces parmi les nouveaux groupes. Le Mouvement y était né d’une manière spontanée en février 1940, alors qu’un homme d’affaires de New York très impliqué dans le Mouvement y avait été transféré. Craignant de rechuter s’il n’avait personne à aider, le nouveau a adopté trois ivrognes et a commencé à les travailler. Il a réussi à les rendre abstinents et le quatuor a entrepris la chasse aux alcooliques. Au 15 décembre dernier, quatre vingt dix-neuf d’entre eux avaient réussi à ne pas boire pour une période de un à trois mois, dix-sept, de trois à six mois et vingt-cinq, de six à dix mois. Cinq, venant d’autres villes, s’étaient joints au groupe; ils étaient abstinents depuis un à trois ans. 

    À l’autre bout de l’échelle de temps, la ville d’Akron, berceau du Mouvement, conserve le record d’abstinence. Selon une récente vérification, deux membres sont abstinents depuis cinq ans et demi grâce à la philosophie AA: un depuis cinq ans, trois depuis quatre ans et demi, un pour la même période sauf pour une rechute, trois depuis trois ans et demi, sept depuis trois ans, trois depuis trois ans avec une rechute chacun, un depuis deux ans et demi, et treize depuis deux ans. Auparavant, aucun des buveurs d’Akron ou de Philadelphie n’avait pu rester abstinent pendant plus de quelques semaines. 

    Dans le Midwest, le travail a été entrepris presque exclusivement auprès de personnes qui n’avaient pas encore atteint le stade de l’hospitalisation. Le groupe de New York, qui a un noyau semblable, a entrepris des activités parallèles de travail auprès des malades hospitalisés, et les résultats sont remarquables. Au cours de l’été 1939, le groupe a commencé à travailler avec des alcooliques internés au Rockland State Hospital, à Orangeburg, un asile psychiatrique qui reçoit les pires cas d’alcooliques invétérés des grands centres urbains. Grâce à l’aide du Dr R.E. Blaisdell, directeur médical de l’établissement, un groupe a été formé dans l’hôpital même et on tient les réunions dans la salle de récréation. Les membres des AA de New York s’y rendent pour donner des causeries, et le dimanche soir on transporte les malades dans des autobus de l’État pour assister à des réunions dans un club que le groupe de Manhattan a loué dans le West Side. 

    Le premier juillet dernier, après onze mois, les dossiers de l’institution indiquaient que sur cinquante-quatre malades confiés aux AA, dixsept n’avaient eu aucune rechute et quatorze n’en avaient eu qu’une. Parmi les autres, neuf sont repartis chez eux et boivent de nouveau, et deux n’ont pas été retracés. Le Dr Blaisdell a souligné au service d’État d’hygiène mentale le travail des AA et il a vanté ses mérites dans son dernier rapport annuel. 

    De meilleurs résultats encore ont été obtenus dans deux hôpitaux publics du New Jersey, Greystone Park et Overbrook, qui accueillent des malades d’une couche sociale et d’une condition économique plus élevées qu’à Rockland, parce que situés à proximité de banlieues aisées. Des sept malades qui ont reçu leur congé de Greystone Park depuis les deux dernières années, cinq, selon les membres des AA, n’ont pas bu pendant des périodes de un à deux ans. Huit des dix sortis d’Overbrook se sont abstenus pour sensiblement la même durée. Les autres ont eu d’une à plusieurs rechutes. 

    Les spécialistes ne s’entendent pas sur les raisons pour lesquelles certaines personnes deviennent alcooliques. Peu d’entre eux croient que l’on «vient au monde alcoolique». Ils estiment que certains ont à la naissance une prédisposition héréditaire à l’alcoolisme, comme on peut naître avec une vulnérabilité à la tuberculose. Le reste dépendrait ensuite de l’environnement et des expériences vécues, bien qu’une autre théorie préconise que certaines personnes sont allergiques à l’alcool, comme les gens qui souffrent du rhume des foins sont allergiques au pollen. Les alcooliques ne semblent avoir qu’un trait commun: l’immaturité émotive. On a observé, en relation directe avec cette disposition, que plusieurs alcooliques sont enfants uniques ou les cadets de famille, ou bien le seul garçon dans une famille de filles ou la seule fille dans une famille de garçons. Un grand nombre étaient des enfants très précoces ou ont été ce que l’on appelle des enfants gâtés. 

    La situation se complique souvent par une atmosphère familiale boiteuse, où l’un des parents est trop cruel alors que l’autre est trop indulgent. Une combinaison de n’importe quel de ces facteurs, plus un ou deux divorces, tend à produire des enfants névrotiques, mal équipés émotionnellement pour faire face aux réalités normales de la vie adulte. Pour les fuir, une personne peut s’absorber dans les affaires, travaillant de douze à quinze heures par jour, ou encore dans les sports ou dans une activité artistique quelconque. Une autre trouvera que l’alcool lui procure une agréable évasion. Il améliore l’opinion qu’elle a d’elle-même et efface temporairement tout sentiment d’infériorité. La consommation massive suit alors la consommation raisonnable. Les amis et la famille s’éloignent et les employeurs sont dégoûtés. Le buveur nourrit des ressentiments et cultive l’apitoiement. Il justifie alors sa consommation d’alcool par des rationalisations puériles : il a beaucoup travaillé et mérite une détente; une ancienne opération des amygdales le fait encore souffrir et un peu d’alcool soulage son mal de gorge; il a mal à la tête; sa femme ne le comprend pas ; ses nerfs sont irrités ; tout le monde est contre lui, etc. Inconsciemment, il devient un inventeur d’excuses chronique. 

    Durant tout ce temps, il est convaincu et tente de convaincre quiconque se mêle de le rappeler à l’ordre qu’il est parfaitement capable de dominer son besoin d’alcool s’il le désire. Pour démontrer sa force de volonté, il se passera d’alcool pendant plusieurs semaines. Il se fera un point d’honneur de se rendre à son bar habituel chaque jour à heure fixe et d’y siroter ostensiblement un verre de lait ou une boisson gazeuse, sans même réaliser qu’il se livre à un exhibitionnisme enfantin. Faussement rassuré, il change sa routine et prend une bière par jour et, encore une fois, c’est le début de la fin. La bière conduit inévitablement à plus de bière encore et ensuite aux alcools forts. Les alcools forts conduisent à une autre cuite gigantesque. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le déclencheur de cette explosion peut aussi bien être un succès soudain en affaires qu’une série de malchances. L’alcoolique n’est pas mieux apte à supporter la prospérité que l’adversité. 

    En sortant des vapes de l’alcool, la victime est désorientée. À son insu, une habitude est devenue une obsession. Après quelque temps, elle n’a plus besoin de rationalisations pour justifier le fatal premier verre. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle est envahie par un puissant sentiment de malaise ou d’exaltation et puis, sans même s’en être rendu compte, elle est debout dans un bar, un verre de whisky vide à la main et une sensation stimulante dans la gorge. Par une curieuse dérobade mentale, elle a complètement effacé de sa mémoire l’intense douleur et les remords provoqués par ses précédentes beuveries. Après plusieurs expériences de la sorte, l’alcoolique commence à réaliser qu’il ne se comprend plus lui-même. Il se demande pourquoi sa force de volonté, efficace dans d’autres domaines, ne peut rien lorsqu’il s’agit d’alcool. Il peut essayer de dominer son obsession et se retrouver dans un sanatorium. Il peut cesser de se battre, considérant le combat sans issue, et tenter de se suicider. Il peut aussi chercher une aide extérieure. 

    S’il s’adresse aux Alcooliques anonymes, on lui fera d’abord admettre que l’alcool a eu raison de lui et que sa vie est devenue incontrôlable. Lorsqu’il en sera arrivé à cet état d’humilité intellectuelle, il recevra une dose de spiritualité dans le sens le plus large du terme. On lui demande de croire à une Puissance supérieure à la sienne ou du moins de garder l’esprit ouvert à ce sujet pendant qu’il suit le reste du programme. N’importe quelle conception d’une Puissance supérieure est acceptable. Le sceptique ou l’agnostique peut choisir de penser à son surmoi ou encore au miracle de la croissance, à un arbre, à l’émerveillement de l’homme devant l’univers physique, à la structure de l’atome ou simplement à l’infinitude mathématique. Quelle que soit la notion qu’il s’est faite de cette Puissance, le néophyte apprend qu’il peut s’y fier et la prier à sa manière pour acquérir de la force. 

    Ensuite, avec l’aide de quelqu’un, il fait une sorte d’inventaire moral de sa personne. Ce peut être un de ses parrains AA, un prêtre, un pasteur, un psychiatre ou quiconque fait son affaire. Si cela peut le soulager, il a le droit de se lever lors d’une réunion et de confesser ce qu’il a sur la conscience, mais cela n’est aucunement exigé. Il rend ensuite ce qu’il peut avoir dérobé en état d’ébriété et prend les dispositions nécessaires pour rembourser ses dettes et honorer ses chèques sans provision. Il répare aussi ses torts vis-à-vis des personnes qu’il a lésées et, de façon générale, nettoie son passé du mieux qu’il peut. Il n’est pas rare que ses parrains lui prêtent de l’argent pour l’aider à ses débuts. 

    Cette épuration est considérée comme très importante, car dans l’obsession alcoolique, la compulsion est exacerbée par les sentiments de culpabilité. Puisque rien ne pousse autant l’alcoolique vers la bouteille que ses ressentiments personnels, il dresse la liste de ses rancunes et prend la décision de ne plus en être troublé. Une fois rendu là, il est désormais prêt à aider d’autres alcooliques actifs. Ce travail qui le force à sortir de lui-même l’aide à ne pas s’appesantir sur ses problèmes personnels. 

    Plus il parvient à amener de buveurs dans les rangs des Alcooliques anonymes, plus il se sent responsable vis-à-vis de son groupe. Désormais, il ne pourrait plus s’enivrer sans faire de mal aux gens qui se sont avérés ses meilleurs amis. Il commence à acquérir de la maturité émotive et devient moins dépendant. S’il a reçu une éducation religieuse, il redevient souvent, mais pas obligatoirement, pratiquant. 

Simultanément à la transformation de l’alcoolique s’opère le processus d’ajustement de la famille avec son nouveau mode de vie. Les conjoints des alcooliques ainsi que leurs enfants deviennent fréquemment névrosés pour avoir été témoins pendant des années de leurs excès d’alcool. La rééducation de la famille fait l’objet d’un programme spécial. 

    Les Alcooliques anonymes, dont la philosophie de base s’appuie sur de vieux principes plutôt que sur une découverte récente, doivent leur existence à la collaboration entre un agent de change de New York et un médecin d’Akron. Alcooliques tous les deux, ils se sont rencontrés pour la première fois il y a bientôt six ans. Buveur périodique, le médecin, que nous appellerons Armstrong afin de protéger son anonymat, avait, en 35 ans, fait fuir presque toute sa clientèle à cause de l’alcool. Pour cesser de boire, il avait tout essayé, même le Groupe d’Oxford, sans succès. En 1935, le jour de la fête des Mères, Armstrong est rentré chez lui en titubant avec une plante en pot hors de prix dans les bras. Le comportement est typique chez l’alcoolique. Il a déposé la plante sur les genoux de sa femme, est monté dans sa chambre et s’est évanoui. 

    Au même moment, l’agent de change de New York, que nous appellerons Griffith, faisait les cent pas dans le hall d’un hôtel d’Akron. Il était désespéré. Venu à Akron dans le but d’obtenir le contrôle d’une société afin de rétablir son pouvoir financier, il avait dû s’incliner devant des adversaires plus puissants que lui. Il était presque sans le sou et n’avait pas de quoi payer sa chambre d’hôtel. Il avait soif. 

    Griffith avait eu beaucoup de succès à Wall Street, mais l’alcool lui avait fait perdre ses meilleures transactions. Il avait cessé de boire cinq mois auparavant grâce aux conseils du Groupe d’Oxford de New York. Très intéressé par le problème de l’alcoolisme, il avait pris l’habitude d’aller visiter les malades alcooliques dans un hôpital de Central Park West où il avait lui-même fait des cures. Il n’avait pas réussi à rendre abstinent un seul de ces malades, mais il avait constaté que sa démarche l’aidait, lui, à ne pas boire. 

    Étranger à Akron, Griffith n’y connaissait aucun alcoolique qu’il aurait pu prendre en main. Un annuaire des églises qui se trouvait dans le hall de l’hôtel, en face du bar, lui a donné une idée. Il y a trouvé le nom d’un pasteur qui l’a mis en contact avec un membre du groupe d’Oxford local. Cette personne était une amie du Dr Armstrong et les présentations ont été faites le soir même, au cours d’un dîner. C’est ainsi que le Dr Armstrong est devenu le premier vrai disciple de Griffith. Ses débuts ont été hésitants. Après quelques semaines, il s’est rendu à un congrès médical dans l’Est des États-Unis, dont il est revenu complètement ivre. Griffith, qui était demeuré à Akron pour régler des conflits légaux causés par sa lutte concernant des procurations, a pu le ramener à l’abstinence. C’était le 10 juin 1935. Les quelques gorgées d’alcool que Griffith a fait boire ce jour-là à Armstrong ont été les dernières de sa vie. 

    Les procès ont traîné en longueur, immobilisant Griffith à Akron pour six mois. Il s’est installé chez les Armstrong, et le médecin et lui ont entrepris de convertir d’autres alcooliques. Lorsque Griffith est retourné à New York, ils avaient réussi deux sauvetages. Ils s’étaient entre-temps retirés du Groupe d’Oxford, trouvant que sa prédication excessive et certaines autres méthodes gênaient sa action auprès des alcooliques. Ils ont mis au point leur propre technique et s’y sont conformés. 

    Les progrès ont été lents. Après le départ de Griffith, le Dr Armstrong et sa femme, une diplômée de Wellesley, ont converti leur maison en un asile gratuit pour alcooliques et en ont fait un laboratoire expérimental pour l’étude du comportement de leurs invités. Un soir, l’un d’entre eux qui, en plus d’être un alcoolique, était aussi un maniacodépressif sans que ses hôtes le sachent, s’est déchaîné avec un couteau de cuisine à la main. On a réussi à le maîtriser avant qu’il ne blesse quelqu’un. Après un an et demi, dix personnes avaient suivi le programme et ne buvaient plus. Les dernières économies des Armstrong avaient été injectées dans leur œuvre. L’abstinence retrouvée du docteur lui avait valu un regain de clientèle, insuffisant toutefois pour défrayer les dépenses supplémentaires. Ils ont néanmoins continué, avec de l’argent emprunté. À Brooklyn, Griffith, qui avait aussi une femme exceptionnelle, a transformé sa maison à la manière du ménage d’Akron. Mme Griffith, issue d’une famille bourgeoise de Brooklyn, a trouvé du travail dans un magasin à rayons et a consacré ses temps libres à soigner les ivrognes. Ils ont aussi emprunté de l’argent et Griffith, grâce à quelques transactions avec des maisons de courtage, a pu également rapporter un peu d’argent. Au printemps 1939, les deux couples étaient parvenus ensemble à convertir une centaine d’alcooliques à l’abstinence. 

    Dans un livre qu’ils ont publié à l’époque, les buveurs rétablis ont décrit leur programme et cité leurs propres histoires. Le livre s’intitulait Alcoholics Anonymous. On a ainsi nommé leur mouvement, qui jusqu’alors était resté sans nom. Ce dernier s’est développé rapidement avec la diffusion du livre. 

    Le Dr Armstrong se débat encore aujourd’hui pour rebâtir sa clientèle. Les temps sont durs. Il est endetté à cause des contributions monétaires au Mouvement et du temps consacré aux alcooliques. Étant un pivot du Mouvement, il lui est impossible de se soustraire aux nombreuses demandes d’aide qui affluent à son bureau. 

    La situation des Griffith est encore plus pénible. Depuis deux ans, le couple n’a pas de logement à lui. D’une manière qui rappelle les premiers chrétiens, ils ont été hébergés çà et là par des amis des AA et parfois doivent emprunter même leurs vêtements. 

    Le Mouvement étant maintenant bien implanté, les deux initiateurs désirent être un peu moins actifs dans l’organisation afin de rétablir leur statut financier. Ils croient que le Mouvement est structuré de façon telle qu’il peut fonctionner et croître de lui-même. Ils n’ont aucune crainte que les AA ne se transforment en un culte, car il n’y a pas de dirigeants, à proprement parler, et ils ne prônent aucune croyance. 

    La poussée spontanée du Mouvement apparaît clairement dans les lettres reçues et conservées au bureau de New York. De nombreuses personnes ont écrit qu’elles avaient cessé de boire à la seule lecture du livre et qu’elles ont initié de petits groupes locaux dans leurs domiciles. Même le groupe de Little Rock, qui est assez important, a démarré de cette façon. Par gratitude pour leur rétablissement, un ingénieur civil d’Akron et sa femme ne cessent depuis quatre ans d’héberger des alcooliques chez eux. Des trente-cinq hébergés, trente et un se sont rétablis. 

    Vingt personnes de Cleveland en pèlerinage à Akron ont pris l’idée et, de retour chez eux, ont formé un groupe. De Cleveland, le Mouvement, par différents moyens, s’est étendu à Chicago, Détroit, Saint Louis, Los Angeles, Indianapolis, Atlanta, San Francisco, Evansville et dans de nombreuses autres villes. Un journaliste alcoolique de Cleveland qui avait perdu un poumon est déménagé à Houston pour des raisons de santé. Il a trouvé du travail dans un journal et la série d’articles qu’il a fait sur les AA lui a valu de fonder un groupe qui compte aujourd’hui 35 membres. Un membre de Houston maintenant établi à Miami tente de rallier dans les rangs des AA les plus éminents ivrognes de cette ville de villégiature pour gens aisés. Un voyageur de commerce de Cleveland est responsable de la formation de nombreux petits groupes à travers le pays. Presque la moitié des membres des AA n’ont jamais vu ni le Dr Armstrong ni Griffith. 

    Pour les gens qui n’ont pas de problème d’alcool et qui, comme la plupart d’entre nous, médusés par les agissements de nos amis alcooliques, les résultats obtenus par les AA sont stupéfiants. Ces résultats sont spécialement remarquables pour certains parmi les plus désespérés, que nous citerons ici sous des noms d’emprunt. 

    Sarah Martin était un produit de l’époque de F. Scott Fitzgerald. Fille de riches parents de l’ouest, elle a fréquenté des pensionnats de l’est du pays et a terminé ses études en France. Elle s’est mariée tout de suite après ses débuts dans le monde. Sarah passait ses nuits à boire et à danser. Elle avait une réputation de solide buveuse. Son mari avait un estomac moins résistant et elle s’en lassa rapidement. Le divorce a suivi peu après. Après avoir dissipé la fortune de son père en 1929, Sarah a trouvé du travail à New York et a gagné sa vie. En 1932, en quête d’aventure, elle est allée s’établir à Paris où elle a développé son propre commerce avec succès. Elle buvait encore beaucoup et restait souvent ivre pendant des périodes plus longues que la normale. Après une longue cuite, en 1933, on lui a appris qu’elle avait tenté de se suicider en sautant par une fenêtre. Au cours d’une autre cuìte elle sauta ou tomba — elle ne se rappelle plus — en bas d’une fenêtre du premier étage. Elle a atterri tête première sur le pavé et on l’a hospitalisée pendant six mois pour des traitements pour ses os fracturés, des soins dentaires et de la chirurgie esthétique. 

    En 1936, Sarah a décidé que si elle retournait aux États-Unis, le changement d’environnement l’aiderait à boire normalement. Cette puérile illusion qu’un changement géographique réussirait à arranger les choses est classique chez les alcooliques, qui l’essaient tous à un moment ou à un autre. Elle a été ivre durant toute la traversée en bateau. Apeurée par New York, elle a bu pour l’oublier. Elle a épuisé ses fonds et s’est mise à emprunter de l’argent à ses amis. Lorsqu’ils ont cessé de lui en prêter, elle a commencé à traîner dans les bars de la 3a Avenue, en comptant sur des étrangers pour se faire offrir à boire. Jusque-là, elle avait toujours cru qu’une dépression nerveuse était la cause de son problème. Ce n’est qu’après de nombreux séjours dans des maisons de santé qu’elle a réalisé, par une lecture, qu’elle était alcoolique. Sur les conseils d’un médecin, elle s’est mise en contact avec les Alcooliques anonymes. Elle a de nouveau un très bon travail et passe maintenant de nombreuses nuits auprès de femmes hystériques afin de les empêcher de sauter par les fenêtres. Dans la trentaine avancée, Sarah Martin est une femme sereine et très attrayante. Les chirurgiens parisiens ont bien travaillé. 

    Watkins est commis dans une usine. Blessé dans un accident de travail en 1927, il a bénéficié d’un congé payé par son employeur, qui s’estimait heureux d’avoir évité une poursuite en dommages-intérêts. Désœuvré durant sa longue convalescence, Watkins s’est mis à traîner dans les bars. Auparavant buveur modéré, il a commencé à prendre des cuites qui duraient parfois des mois. Tout son mobilier a été vendu en remboursement de dettes, et sa femme s’est sauvée avec leurs trois enfants. En onze ans, Watkins a été arrêté douze fois et incarcéré à huit reprises. Lors d’une de ses incarcérations, dans une crise de delirium tremens, il a fait courir la rumeur que l’administration pénitentiaire empoisonnait la nourriture pour réduire le nombre de prisonniers et ainsi diminuer les frais. Cette rumeur a provoqué une révolte générale à la cantine. Il a imaginé, dans une autre crise de D.T., que le prisonnier dans la cellule au-dessus de la sienne tentait de verser sur lui du plomb fondu. Durant cette crise, il s’est lacéré les poignets et la gorge avec une lame de rasoir. Alors qu’il récupérait dans un hôpital avec quatre-vingt-six points de suture, il a juré qu’il ne boirait plus jamais. Il a pourtant été ivre à nouveau avant même que ses derniers pansements soient enlevés. Il y a deux ans, un ancien compagnon de beuveries lui a fait connaître les Alcooliques anonymes. Il n’a pas touché à l’alcool depuis. Il a retrouvé sa femme et ses enfants et a acheté un nouveau mobilier. Il a repris son travail et a réussi à rembourser la presque totalité des 2 000 $ qu’il devait, ainsi que ses petits larcins alcooliques. Il convoite maintenant une nouvelle voiture. 

    À vingt-deux ans, Tracy, fils précoce d’une famille aisée, était directeur du service du crédit pour une société, d’investissement dont le nom était un véritable symbole à l’époque de la folie financière des années 20. Après l’anéantissement de la société, lors du krach économique de 1929, Tracy s’est dirigé en publicité et a grimpé les échelons de sa nouvelle compagnie jusqu’à atteindre un salaire de 23 000 $ par année. Il a été congédié le jour de la naissance de son fils. Au lieu de se présenter à Boston, où il devait signer un important contrat de publicité, Tracy, sur une cuite, avait atterri à Chicago et avait perdu son contrat. Buveur invétéré, il est devenu vagabond. Se soûlant avec de l’alcool à ríchard et des lotions capillaires, il mendiait de l’argent à des agents de police qui, c’est bien connu, sont généreux jusqu’à concurrence de dix sous. Par une nuit de verglas, il a vendu ses souliers pour boire, chaussant à la place une vieille paire de caoutchoucs trouvée dans une allée, qu’il a bourrés de papier journal pour garder ses pieds chauds. 

    Il s’est fait interner dans des sanatoriums, beaucoup plus pour trouver un abri qu’autre chose. À l’un de ses séjours, un médecin de l’établissement lui a parlé des AA. Tracy, qui était catholique de naissance, a fait une confession générale et est retourné à la pratique de sa religion, qu’il avait délaissée depuis longtemps. Il a eu quelques rechutes mais n’a plus retouché à l’alcool depuis sa dernière récidive en février 1939. De nouveau, il a refait son chemin en publicité et a maintenant un salaire de 18 000 $ par année. 

    Victor Hugo aurait adoré le caractère de Brewster, un aventurier à la puissante musculature qui prenait la vie à la dure. Brewster avait été bûcheron, vacher, puis aviateur durant la guerre. Après la guerre, il s’est adonné à la bouteille et rapidement a été réduit à la tournée des sanatoriums. Dans l’un d’eux, après avoir entendu parler de traitements par choc émotif, il a soudoyé l’employé noir de la morgue avec des cigarettes pour pouvoir y entrer chaque après-midi afin de méditer sur un cadavre. Tout a très bien fonctionné jusqu’au jour où un des cadavres, par une quelconque contorsion musculaire post-mortem, s’est mis à lui grimacer des sourires. Brewster a rencontré les AA en 1938 et, après être devenu abstinent, a trouvé un poste de vendeur qui nécessitait beaucoup de marche. Il avait, entre-temps, développé des cataractes aux deux yeux. On l’a opéré pour une des cataractes, ce qui lui a permis de voir de loin grâce à des verres à grosses lentilles. Il utilisait l’autre œil pour voir de près et pour ne pas se faire écraser dans la rue, maintenant l’oeil dilaté au moyen d’une solution oculaire. Ensuite, il a fait de la rétention d’eau dans une jambe. Malgré tous ces handicaps, Brewster a continué à arpenter les rues pendant six mois jusqu’à ce que sa situation financière soit rétablie. Aujourd’hui, à cinquante ans et malgré sa condition physique, il continue de visiter ses clients à pied et gagne environ 400 $ par mois. 

    Pour les Brewster, les Martin, les Watkins, les Tracy et les autres alcooliques rétablis, une compagnie agréable est toujours disponible, partout où ils se trouvent. Dans les grandes villes, les membres des AA se rencontrent quotidiennement à l’heure du lunch dans leurs restaurants favoris. Les groupes de Cleveland organisent des réceptions au Nouvel An et à d’autres fêtes, au cours desquelles on boit des quantités de café et de boissons non alcoolisées. À Chicago, on tient des maisons ouvertes aux quatre coins de la ville, du vendredi au dimanche, pour qu’aucun des membres des AA ne soit tenté d’avoir recours à l’alcool s’il se sent seul durant le week-end. Ils y jouent aux dés ou aux cartes, et les joueurs gagnants contribuent à la cagnotte qui sert à payer les frais. Certains écoutent la radio, dansent, mangent ou encore se contentent de bavarder entre eux. Tous les alcooliques, ivres ou abstinents, aiment causer. Ils sont parmi les gens les plus sociables au monde, ce qui pourrait peut-être expliquer pourquoi ils sont devenus alcooliques. 

 

LES DOUZE ÉTAPES DES ALCOOLIQUES ANONYMES 

1. Nous avons admis que nous étions impuissants devant l’alcool, que nous avions perdu la maîtrise de notre vie. 

2. Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison. 

3. Nous avons décidé de confi er notre volonté et notre vie aux soins de Dieu tel que nous Le concevions. 

4. Nous avons procédé sans crainte à un inventaire moral, approfondi de nous-mêmes. 

5. Nous avons avoué à Dieu, à nous-mêmes et à un autre être humain la nature exacte de nos torts. 

6. Nous étions tout à fait prêts à ce que Dieu élimine tous ces défauts. 

7. Nous Lui avons humblement demandé de faire disparaître nos défauts. 

8. Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avions lésées et nous avons consenti à réparer nos torts envers chacune d’elles. 

9. Nous avons réparé nos torts directement envers ces personnes dans la mesure du possible, sauf lorsqu’en ce faisant, nous risquions de leur nuire ou de nuire à d’autres. 

10. Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus. 

11. Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevions, Lui demandant seulement de connaître Sa volonté à notre égard et de nous donner la force de l’exécuter. 

12. Ayant connu un réveil spirituel comme résultat de ces étapes, nous avons alors essayé de transmettre ce message à d’autres alcooliques et de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines de notre vie.

 

LES DOUZE TRADITIONS DES ALCOOLIQUES ANONYMES 

1. Notre bien-être commun devrait venir en premier lieu ; le rétablissement personnel dépend de l’unité des AA. 

2. Dans la poursuite de notre objectif commun, il n’existe qu’une seule autorité ultime : un Dieu d’amour tel qu’ il peut se manifester dans notre conscience de groupe. Nos chefs ne sont que des serviteurs de confi ance, ils ne gouvernent pas. 

3. Le désir d’arrêter de boire est la seule condition pour être membre des AA. 

4. Chaque groupe devrait être autonome, sauf sur les questions qui touchent d’autres groupes ou l’ensemble du Mouvement. 

5. Chaque groupe n’a qu’un objectif primordial, transmettre son message à l’alcoolique qui souffre encore. 

6. Un groupe ne devrait jamais endosser ou fi nancer d’autres organismes, qu’ils soient apparentés ou étrangers aux AA, ni leur prêter le nom des Alcooliques anonymes, de peur que les soucis d’argent, de propriété ou de prestige ne nous distraient de notre objectif premier. 

7. Tous les groupes devraient subvenir entièrement à leurs besoins et refuser les contributions de l’extérieur. 

8. Le mouvement des Alcooliques anonymes devrait toujours demeurer non professionnel, mais nos centres de service peuvent engager des employés qualifi és. 

9. Comme Mouvement, les Alcooliques anonymes ne devraient jamais avoir de structure formelle, mais nous pouvons constituer des conseils ou des comités de service directement responsables envers ceux qu’ils servent. 

10. Le mouvement des Alcooliques anonymes n’exprime aucune opinion sur des sujets étrangers ; le nom des AA ne devrait donc jamais être mêlé à des controverses publiques. 

11. La politique de nos relations publiques est basée sur l’attrait plutôt que sur la réclame ; nous devons toujours garder l’anonymat personnel dans la presse écrite et parlée de même qu’au cinéma. 

12. L’anonymat est la base spirituelle de toutes nos traditions et nous rappelle sans cesse de placer les principes au-dessus des personnalités. 

 

LES DOUZE CONCEPTS DES SERVICES MONDIAUX 

I. La responsabilité finale et l’autorité suprême des services mondiaux des Alcooliques anonymes devraient toujours relever de la conscience collective de notre association tout entière. 

II. La Conférence des Services généraux des AA est devenue, presque à toutes fins utiles, la voix réelle et la conscience effective de notre association tout entière dans la conduite de nos affaires mondiales. 

III. Afin d’assurer un leadership effectif, nous devrions doter chaque instance du Mouvement — la Conférence, le Conseil des Services généraux et ses différentes sociétés de service, leur personnel, leurs comités et leurs directeurs — d’un « Droit de décision » traditionnel. 

IV. Nous devrions, à tous les niveaux de responsabilité, maintenir un « Droit de participation » traditionnel qui assurerait une représentation par vote en proportion raisonnable à la responsabilité assumée. 

V. Dans toute la structure de nos services mondiaux, un « Droit d’appel » traditionnel devrait prévaloir, afin que l’opinion minoritaire soit entendue et que les griefs soient soigneusement pris en considération. 

VI. La Conférence reconnaît que l’initiative principale et la responsabilité active dans presque toutes les questions de service mondial devraient relever des administrateurs membres de la Conférence, réunis en Conseil des Services généraux. 

VII. Les statuts et règlements du Conseil des Services généraux sont des instruments juridiques donnant pleins pouvoirs aux administrateurs pour gérer et diriger les affaires des services mondiaux. Les statuts de la Conférence ne sont pas un document légal ; ils dependent de la tradition et des capacités financières des AA pour être pleinement efficaces. 

VIII. Les administrateurs sont les principaux responsables de la planification et de l’administration des finances et des questions d’orientation générale. Ils assurent la surveillance des sociétés de service incorporées séparément et toujours actives, par le droit qu’ils ont d’en nommer tous les directeurs. 

IX. De bons leaders à tous les niveaux de service sont indispensables pour notre fonctionnement et notre sécurité futurs. Le leadership fondamental des services mondiaux, d’abord assuré par les fondateurs des AA, doit nécessairement être assumé par les administrateurs. 

X. A chaque responsabilité de service doit correspondre une autorité équivalente et la portée de cette autorité sera bien définie. 

XI. Les administrateurs devraient toujours s’entourer des meilleurs comités, administrateurs de sociétés de service, membres du personnel et consultants. La composition, les qualifications, les critères et procédures d’embauche, les droits et devoirs feront toujours l’objet d’une étude sérieuse. 

XII. La Conférence des Services généraux observera l’esprit des Traditions AA. Elle prendra soin de ne jamais devenir le siège d’une concentration périlleuse de richesse ou de pouvoir ; en saine administration, elle s’assurera d’un fonds de roulement suffisant et d’une réserve appropriée ; aucun de ses membres ne devra jamais se retrouver en position d’autorité indue par rapport à un autre ; elle prendra toutes ses décisions importantes après discussion et vote, en recherchant la plus grande unanimité chaque fois que possible ; elle ne prendra jamais de mesures punitives personnelles et ne posera aucun geste qui puisse provoquer la controverse publique ; elle ne fera jamais acte de gouvernement, et demeurera toujours, à l’image de l’association qu’elle sert, démocratique en pensée et en action.

 

DÉCLARATION D’UNITÉ
Parce que nous sommes responsables de
l’avenir des AA, nous devons : placer notre
bien-être commun en premier lieu et préserver
l’unité de l’association des AA, car de cette
unité dépendent nos vies et celles des
membres à venir.

 

Je suis responsable…
Si quelqu’un quelque part tend la
main en quête d’aide, je veux que celle
des AA soit toujours là.
Et de cela: Je suis responsable.

 

Copyright © by AA Grapevine, Inc.
Traduit et reproduit avec autorisation.
Titre original The Jack Alexander Article About A.A.
Reproduit avec la permission spéciale de The Saturday Evening Post
Copyright 1941 The Curtis Publishing Company
Pour obtenir des exemplaires additionnels: Alcoholics Anonymous World Services, Inc.
Adresse postale: Box 459, Grand Central Station New York, NY 10163
www.aa.org
500 – 03/18 (GP)

 

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