Les AA et les autochtones d’Amérique du Nord

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Les Alcooliques Anonymes sont une association d’hommes et de femmes qui partagent entre eux leur expérience, leur force et leur espoir dans le but de résoudre leur problème commun et d’aider d’autres alcooliques à se rétablir. 

• Le désir d’arrêter de boire est la seule condition pour devenir membre des AA. Les AA ne demandent ni cotisation ni droit d’entrée ; nous nous finançons par nos propres contributions. 

• Les AA ne sont associés à aucune secte, confession religieuse ou politique, à aucun organisme ou établissement ; ils ne désirent s’engager dans aucune controverse ; ils n’endossent et ne contestent aucune cause. 

• Notre but premier est de demeurer abstinents et d’aider d’autres alcooliques à le devenir. 

 

Les AA et les autochtones d’Amérique du Nord

Si tu as un problème d’alcool, tu n’es pas seul

Environ 4 000 000 d’Autochtones habitent aux États-Unis et au Canada, un grand nombre vivant sur des réserves et bien d’autres installés dans des grandes villes.

Où qu’ils soient, l’alcoolisme est un problème de santé majeur. Il n’est pas inhabituel pour des Autochtones nord-américains de se sentir déchirés entre la culture de leur race et celle de la majorité. Plusieurs se tournent vers l’alcool pour s’évader de leurs problèmes. Beaucoup veulent cesser de boire et ils ne le peuvent pas – qu’ils essaient de le faire dans le monde des blancs ou en ayant recours à leurs anciennes coutumes de guérison indienne.

Tant l’Association médicale américaine que l’As­sociation médicale du Royaume-Uni définissent l’alcoolisme comme une maladie. Comme partout ailleurs, plusieurs Autochtones ont permis à l’alcool d’assombrir leur vie. Lorsqu’ils se saoulaient, ils vio­laient les enseignements spirituels de leur culture. Par contre, il y a espoir et cet espoir se trouve chez les Alcooliques anonymes. Les AA existent dans plus de 180 pays et actuellement, plus de deux millions de personnes sont abstinentes dans le Mouvement et profitent d’une nouvelle vie libérées de l’alcool.

Dans cette brochure, des hommes et des fem­mes, tous des Autochtones, partagent la façon dont ils ont renoncé à l’alcool. Ils ont réussi à concilier le fait d’être membres des AA et de quand même être fiers de leur riche héritage autochtone et de ses en­seignements spirituels.

Les AA ont une base spirituelle et ils respectent les croyances spirituelles de chacun de leurs mem­bres. L’objectif premier des Alcooliques anonymes est d’aider l’alcoolique qui souffre encore ; ils ne se prononcent pas sur des questions extérieures et ne sont reliés à aucune autre organisation. Les AA comprennent que l’alcoolisme est une maladie qui peut affecter n’importe qui, n’importe où – peu importe la race, la croyance, le sexe ou la religion. Leur but est d’aider tous les alcooliques. Chez les AA, il n’y a aucun formulaire à signer, pas de statisti­ques des membres, pas de frais d’entrée. Il n’y a pas de registre de présence et aucune forme de traite­ment officielle. Rien n’est défendu chez les AA, pas même prendre de l’alcool. Il y a des choix.

Vous trouverez que les Autochtones nord-amé­ricains emploient diverses expressions lorsqu’ils parlent de leur héritage. Bien que le terme Indiens d’Amérique demeure le plus répandu et le plus reconnu, certains peuvent dire Autochtones, Aborigènes, ou Premières Nations.

Une femme, une Sioux/Pied-Noir qui compte de nombreuses années d’abstinence chez les AA, dit : « Pour la plupart, nous croyons au Grand Esprit… Je n’ai pas été obligée d’abandonner quelque par­tie de mes croyances lorsque je me suis jointe aux AA. C’était un grand soulagement de constater que je pouvais croire en une Puissance supérieure de mon choix. Je pouvais vivre dans le monde des blancs, mais je pouvais aussi conserver toutes les traditions, les coutumes et les cérémonies de mon peuple autochtone. En fait, les AA ont renforcé mes croyances. Être devenue membre des AA ne m’a pas restreinte, cela ma donné plus de liberté ».
La plus grande loi spirituelle des Autochtones place la communauté avant les efforts individuels. L’esprit communautaire est aussi au cœur des Alcooliques anonymes. Les témoignages qui sui­vent racontent ce que c’était, comment c’est main­tenant et comment de nombreux Autochtones d’Amérique du Nord ont trouvé le « chemin de l’heureux destin », ou, comme on le dit souvent, la « piste rouge du rétablissement ».

Fran

« Plume qui danse »

« Être indienne n’a pas fait de moi une personne unique. J’étais une alcoolique… »

L’abstinence, c’est traditionnel chez nous ! Je ne l’ai pas su avant de cesser de boire. J’ai vu mon oncle mourir empoisonné par l’alcool. Souvent, mon peu­ple mourait ainsi. D’autres fois leurs corps étaient retrouvés après le dégel du printemps, où on les avait jetés dans la neige au bord de la réserve après avoir perdu conscience, ivres morts au village. J’avais onze ans lorsque grand-maman est morte et nous sommes déménagés de Los Angeles à la réserve. Le goût fort et amer du whisky et la brûlure qui persistait dans mon estomac disparaissaient à mesure que les effets apaisaient la froidure de l’hiver ou la chaleur estivale dans le « Painted Desert ». Mes moments les plus dé­sagréables étaient lorsque je restais debout en ligne avec ma belle-sœur pour attendre les denrées alimen­taires distribuées par notre gouvernement.

La plupart des Indiens étaient pauvres en ce temps-là. Quelques tribus possédaient des machi­nes à sous et la plupart des gens n’étaient pas allés plus loin que l’école élémentaire. J’aimais faire de l’équitation à cru, mais lorsque j’étais ivre, je tom­bais très souvent et parfois, je perdais mon cheval. Je jouais avec d’autres enfants de la réserve ; nous séchions les cours et nous nous saoulions sur les mesas. Lorsque j’ai eu quatorze ans, je suis deve­nue amoureuse d’un cow-boy indien qui avait gagné la boucle de ceinture au rodéo de Santa Fe. Il est devenu mon héros lorsqu’il m’a enseigné comment voler un camion Ford et faire de la vitesse pour re­venir à la réserve, en riant tout le long du chemin. Juste au moment où j’ai cru que la vie était devenue tolérable, les gens de la relocation l’ont amené loin à l’école et je me suis retrouvée seule encore une fois, dans ce désert inhospitalier, juste moi et les lézards et le whisky. J’avais une hâte folle de partir, et j’avais peur d’être la suivante à être enlevée et emmenée dans un pensionnat.

J’avais vu des photos du pont Golden Gate sur la couverture d’un magazine et mon frère a payé mon passage en train pour me rendre à San Francisco. J’avais trente dollars. J’avais seize ans, j’étais illet­trée et je pouvais à peine parler l’anglais. C’était la première fois que j’étais loin de ma famille. J’avais dépensé tout mon argent dès le deuxième jour. Je n’avais ni travail ni endroit pour vivre et il pleuvait sur les rues froides et grises. Je me suis recroque­villée dans un seuil de porte, frissonnante sous une pile de journaux. J’ai senti une main sur mon épaule et un homme blanc plus âgé me parlait gentiment. Il m’a offert de m’abriter de la pluie et de me trouver quelque chose à manger. C’était la première nuit d’une carrière de vingt-et-un ans comme prostituée. Cela payait bien et l’alcool était encore mieux.

Deux ans plus tard, j’ai été incarcérée et j’ai pas­sé vingt-quatre mois derrière les murs. Après ma libération, je suis devenue enceinte de mon premier enfant et je suis retournée faire le trottoir. J’ai repris l’habitude de me droguer, en plus de prendre plus d’un demi-litre de tequila chaque jour. Pendant les onze années suivantes, je suis retournée souvent en prison pour des crimes reliés à l’alcool et aux dro­gues, dont trois contraventions pour conduite en état d’ébriété et plusieurs séjours dans les hôpitaux et les asiles. À la fin, je buvais plus d’un litre de te­quila par jour. Mon fils m’avait été enlevé et je me suis retrouvée dans une réunion des AA, à peine ca­pable de tenir la tasse de café avec mes deux mains. Il me fallait cesser de boire si je voulais ravoir mon fils. J’ai finalement atteint un point où j’étais prête à essayer « les AA des hommes blancs », même si j’étais certaine que cela ne fonctionnerait pas pour quelqu’un comme moi. Une autre femme autoch­tone qui avant grandi sur une réserve a pu me faire comprendre que le fait d’être Indienne ne faisait pas de moi une personne unique. J’étais une alcoolique et je n’avais aucun autre moyen que d’essayer la re­cette de quelqu’un d’autre. Au moment où j’ai réussi à rester abstinente pendant un an, mon fils m’a été rendu, mais il buvait et se droguait tout comme je l’avais fait. Je suis heureuse de vous dire qu’il aura bientôt cinq ans d’abstinence et que ce mois-ci, je célébrerai vingt-trois ans d’abstinence. Les Douze Étapes m’ont totalement transformée.

Je suis mariée aujourd’hui et j’ai quatre grands enfants et huit petits-enfants. Les gens chez les AA m’ont encouragée à retourner à l’école, abstinente.

Quelques années plus tard, j’ai obtenu mon diplôme du collège et un B.A. en Sciences. J’ai une belle mai­son dans les montagnes et j’ai beaucoup de succès dans ma carrière d’auteur. Je prie dans la hutte de sudation et à l’église catholique, et je pratique la Douzième Étape dans les réserves indiennes. Les Douze Étapes, le Gros Livre et ma marraine m’ont enseigné comment vivre heureuse, joyeuse et libre dans l’abstinence. Les choses semblent différentes aujourd’hui. Je ressens la caresse aimante de mon Créateur lorsque je m’assoie dans la forêt et que je remercie de tout ce que j’ai reçu grâce aux AA. Nos vieilles histoires indiennes sont toujours vivantes et aujourd’hui, j’aime partager avec les autres sur le rétablissement et la spiritualité des Premières Nations.

 Kevin

« Petite Plume »

« La haine s’est transformée en amour, la foi a remplacé la peur »

Je suis membre du mouvement des Alcooliques anonymes depuis 13 ans. Depuis ce temps, j’ai fait ce que l’on m’a suggéré, comme me joindre à un groupe, trouver un parrain, me fier à une Puissance supérieure, être actif et vivre selon les Étapes. Cela m’a été enseigné par un homme qui connaissait la vérité sur les AA et qui était aussi en partie un Autochtone américain. Je suis aussi de sang-mêlé ; ma mère est irlandaise, mon père, un homme fier Pied-Noir et Sioux de Cheyenne River. Il se compor­tait comme l’homme blanc, car il devait supporter sa famille dans une région où le racisme était présent. Il a aussi été un alcoolique pendant la plus grande partie de sa vie, jusqu’au jour où il a trouvé les sal­les des Alcooliques anonymes. C’était quelqu’un à qui je ne ressemblerais jamais, quelqu’un qui vivait pour boire, et je suis devenu comme lui de plusieurs façons.

J’ai développé de plus en plus de ressentiment avec les années ; c’était une relation amour-haine. Lorsqu’il buvait, il était différent. Lorsque je buvais, j’étais différent. Je croyais qu’il m’avait donné cette allergie, cette maladie. J’en ai éprouvé de la haine, du ressentiment, du silence. Puis, il est arrivé quel­que chose – il est devenu abstinent et il a commen­cé à agir différemment, c’était un meilleur homme, un homme aimant, un homme spirituel, un croyant au Créateur et au programme des Alcooliques ano­nymes. Il a cessé de boire, mais je ne le pouvais pas et je devenais de plus en plus en colère chaque jour, tant contre lui que contre l’alcool.

Au cours des années qui ont suivi, mon père a commencé à grandir et son amour pour Wakan Tanka a progressé avec lui. Il avait confiance dans le Grand Mystère, ne doutait jamais de son exis­tence ; il savait qu’il était là pour lui et qu’il pouvait s’y fier. Quant à moi, comment pouvait-il y avoir un Grand Esprit, et si oui, comment pouvait-il faire cela pour moi ? Je me détestais, je détestais le visible et l’invisible. Il n’y avait pas d’espoir à l’horizon. Je vou­lais mourir, juste pour en finir avec la folie.

Je ne pouvais pas faire autrement que de re­marquer le cheminement de mon père. J’ai vu le changement s’opérer chez lui et cela me faisait faire encore plus de ressentiment à certains moments. Pourquoi lui et pas moi ? Puis, je me suis retrouvé un jour sur le sol à demander de l’aide au Grand Esprit, et il m’a dirigé vers cet homme. Pendant un court instant, l’orgueil et la haine m’ont abandonné, la lumière est entrée et j’ai demandé de l’aide.

Mon père est venu et il m’a sauvé ce jour-là. Les journées qui ont suivi étaient remplies de leçons et de l’amour d’un programme appelé les Alcooliques anonymes. J’ai débuté mon parcours de change­ment et lentement, j’ai commencé à voir ce qu’on y disait. La haine s’est transformée en amour, et la peur fut remplacée par la foi – je devenais l’instru­ment de paix du Créateur et je commençais à croire en ce que vous croyiez.

Au cours des années qui ont suivi, mon père a commencé à découvrir son côté autochtone, à vivre selon la piste rouge, mais pour moi, même après tout ce que les AA avaient fait pour moi, après tout ce qui était arrivé, tout ce que j’avais vu, j’étais encore réti­cent face à ce Grand Mystère, à ce Grand Esprit, à ce Wanka Tanka. Il m’aura fallu encore bien des années avant que je trouve le vrai sens du Créateur.

Mon père, qui est devenu mon ami le plus pro­che, a franchi le passage il y a plus de 6 ans. Ses cendres reposent sur un meuble dans ma cham­bre ; je lui parle tous les jours et je continue à croire parce qu’il croyait. Les jours sont devenus des an­nées dans le Mouvement, et je me questionnais tou­jours sur l’existence d’une Puissance supérieure. Je ne faisais qu’exister, sans vraiment vivre. Si je ne pouvais pas le voir, le toucher, le goûter, alors comment cela pouvait-il exister ? Je poursuivais ma recherche.

Après de nombreuses conversations avec mon père adoptif, Johnny Paleface, qui était abstinent depuis 46 ans à l’époque, avec mon conseiller spi­rituel autochtone, Dale, et avec mes aînés, on m’a fait une suggestion, retourner dans la réserve pour m’aider à trouver qui j’étais ; et faire le voyage pour enterrer mon père. J’ai donc fait ce voyage que je craignais avec un autre Autochtone, John S., à la ré­serve Pied-noir au Montana. Le voyage en train fut remarquable, car je voyais pour la première fois les créations faites par le Grand Esprit. J’ai été témoin de la beauté des montagnes, de la nature sauvage, des torrents et des gens. C’est ce dont parlait mon père, c’était la terre de notre peuple. Bien avant qu’il existe des maisons, des usines, des centres commerciaux et des automobiles ; il n’y avait que la terre et notre peuple.

Après trois jours, le train s’est arrêté et lorsque je suis descendu, je pouvais voir la réserve au loin. J’ai pris les cendres de mon père, et John et moi avons fait le trajet jusqu’à la réserve. Nous avons rencontré des personnes qui nous ont aidés à lo­caliser les personnes en autorité au Conseil de la Tribu, et nous avons vérifié avec le Bureau des Affaires indiennes, en leur disant à tous deux ce que nous voulions faire. Le jour suivant, nous de­vions effectuer la marche qui allait changer ma vie.

Mon ami John et moi avons entrepris notre pé­riple pour déposer les cendres de mon père sur la Mère Terre. Nous avons marché longtemps et trouvé un petit lac près des Montagnes Rocheuses. John et moi avons alors répandu les cendres sur la terre, dans l’eau et vers le ciel, tout en priant le Grand Esprit de veiller sur lui. J’ai commencé à éprouver un sentiment de sérénité, de gratitude et d’amour. Ces murs qui nous avaient séparés toutes ces années se sont effondrés ce jour-là, et j’ai vu mon père pour qui il était et pour ce qu’il était. Il ne restait plus de blâme ni ressentiment, et le lien, même dans la mort, en est devenu un de père et de fils. Il y avait une paix ultime entre nous, et je savais que c’était là qu’il devait être.

Après avoir terminé nos prières, mon frère autochtone John a dit : « Regarde vers ta droite ». À travers mes yeux remplis de larmes, j’ai vu cet énorme loup noir assis sur ses pattes de derrière qui nous regardait. Il n’était pas agressif envers nous, il ne faisait qu’observer ce que nous faisions, presque en nous surveillant. Bien sûr, nous avions peur de cette créature par instinct, c’était la peur de l’inconnu. En nous éloignant lentement, le loup a continué à nous suivre des yeux. J’ai dit à John : « Prends des photos », et il a photographié ce loup, tout comme moi.

En poursuivant notre marche loin de l’endroit où ont été dispersées les cendres, il y a eu une chose remarquable. Le loup s’est levé, a marché jusqu’à l’endroit où étaient les cendres, et il s’est couché dessus. John et moi en avons frissonné et je savais que nous venions d’être témoins d’une chose très particulière. J’ai immédiatement téléphoné à la mai­son et j’ai parlé à mon père adoptif, Johnny Paleface, un Navajo pur-sang, et à Dale, un ami autochtone. Les deux ont dit que nous venions d’être témoins d’un esprit guide, ou de mon père dans sa forme ani­male. Une partie de moi voulait y croire et une autre partie se demandait encore si une telle assomption était vraie – je disais une coïncidence. J’allais trou­ver les réponses dans les semaines à venir.

Je suis retourné au Massachusetts et j’ai ap­porté le film pour le faire développer. J’ai pris les photos, je les ai apportées à la maison et je les ai regardées avec ma femme. Mon ami John est venu au même moment – je ne crois pas que c’était une coïncidence. Nous avons trouvé les photos prises du loup, mais surprise, il n’y avait qu’une photo de la terre. Il n’y avait pas de loup. Encore une fois, je me suis mis à trembler et j’ai su que tout ce que j’avais dit était vrai. Ce jour-là, dans mon salon, j’ai eu un réveil spirituel que je n’oublierai jamais. Je prie le Créateur chaque jour, je crois en Lui, et je sais qu’un jour, je retrouverai l’auteur de mes jours, ma famille dans l’autre vie. Les AA m’ont donné la possibilité de combattre mes peurs, de leur faire face la tête haute, et de suivre la Grâce du Créateur afin de faire la paix avec mon père.

Je dois ma vie aux Alcooliques anonymes, Puissent tous ceux qui doutent du Grand Esprit être témoins de Sa beauté, et le trouver et lui faire confiance dans leur vie quotidienne. Puissiez-vous entendre la voix du Créateur dans le vent, puisse-t-Il vous donner de la force et puissiez-vous marcher vers Sa beauté.
Aweho.

Ramona

« Lorsque nous avons rendu les armes, nous avons vécu ».

J’avais l’impression que je méritais de boire, que c’était un droit acquis à ma naissance. Je croyais qu’être alcoolique était être indien et qu’être indien était être alcoolique. Qui ne boirait pas devant tant d’histoires tristes ?

Je suis née en1952 à Wichita, Kansas. Je suis Tohono O’odham du côté de mon père et Cherokee du côté de ma mère. Jusqu’à dix ans, j’ai vécu dans un petit village. Il y avait moi, ma sœur et ma mère, et une autre famille indienne — tous les autres étaient des blancs. Je ne sais pas si c’était le cas pour l’autre famille indienne, mais j’étais persé­cuté par les gens de ce village. Dans mes premiers souvenirs, j’ai été battue, frappée, on m’a passé des­sus et abusée sexuellement. C’est tout ce dont je me souviens de ces jours au Kansas. C’était avant le mouvement des Droits civiques, avant qu’il soit « in » d’être « in »dien.

À l’âge d’environ quatre ans, trois ou quatre hommes m’ont passé sur le corps à bicyclette. C’était de grands garçons qui avaient environ 18 ou 19 ans. J’ai voulu courir, mais l’un d’eux m’a frappée, m’a jetée par terre et est passé sur moi, et les autres ont fait de même. Je suis tombée en état de choc et l’on m’a emmenée à l’hôpital. Dans ce temps là, on ne punissait pas les hommes blancs qui tourmen­taient les petites indiennes, et bien sûr, ce n’était qu’un incident. Il y en a eu plusieurs autres, et j’ai encore les cicatrices physiques, émotionnelles, et psychologiques pour le prouver. Très souvent, un assaut pouvait arriver seulement parce que je mar­chais dans la rue, me promenais sur ma bicyclette ou jouais au terrain de jeu.

Il en est résulté que je me suis toujours sentie traquée – j’avais toujours l’impression d’être l’objet d’une chasse au gibier et que je devais être prête à courir, à me battre, ou à tuer. Je me sentais comme un animal, toujours à guetter un prédateur. De nos jours, ils appellent cela le TSPT – [Post-traumatic Stress Disorder – trouble stress post-traumatique], qui ressemble beaucoup à ce que vivent les anciens combattants. J’ai donc appris à être rusée, manipu­latrice, destructive, séductrice, vicieuse et violente. En route, j’ai cessé d’être l’animal traqué et je suis devenue la chasseresse, la prédatrice.

Dès 14 ans, je buvais, je me battais, je volais et je faisais toutes les choses qu’un enfant de cet âge ne devrait pas faire. J’ai été renvoyée de l’école, j’ai eu des problèmes avec la loi, on m’a arrêtée et empri­sonnée. J’ai ingéré, inhalé et absorbé tout ce que j’ai pu trouver. Si je ne pouvais pas avoir accès à l’alcool, je trouvais un homme – n’importe quoi pour arrêter la douleur.

À 18 ans, j’ai capturé un militaire. Nous avons été mariés pendant quelque 20 ans. Je buvais tout le temps. Je buvais lorsque j’étais heureuse, je buvais lorsque j’étais triste, je buvais quand il pleuvait et quand il faisait beau. À l’âge d’environ 42 ans, j’ai capturé un autre militaire, mais je gardais toujours le premier en otage.

À l’époque où je me suis rendue aux portes des AA, j’étais brisée, démoralisée, déprimée, anxieuse et détruite. J’étais totalement battue. J’avais fait tout ce que j’avais dit que je ne ferais jamais et je n’avais rien fait de ce que je m’étais proposée de faire. J’avais perdu mon identité, ma dignité, ma valeur.

Je suis entrée et sortie du programme pendant 10 ans. J’ai eu de la difficulté à « rendre les armes ». Dans mon esprit, pour comprendre ce que voulait dire « rendre les armes», j’ai dû revoir les histoires et les leçons de mes ancêtres. Voici ce qu’ils m’ont dit : « Lorsque nous avions les fusils dans le dos et que nous allions mourir, nous avons choisi de ren­dre les armes. Si nous ne l’avions pas fait, toutes les générations à venir seraient mortes. Notre langue aurait disparu, nos danses seraient mortes, nos his­toires seraient mortes, vous seriez morts. Lorsque nous nous sommes rendus, nous avons vécu, nos chants ont vécu, nos tam-tam ont vécu, nos danses ont vécu. Vous avez vécu. »

J’ai alors compris le legs de leur reddition, et j’ai compris qu’en m’abandonnant au programme des AA et à ma Puissance supérieure, je serais encore en vie et présente pour transmettre les espoirs et les rêves de tous ceux qui étaient là avant moi. J’ai compris qu’à travers moi, mon peuple et nos tradi­tions vivraient.
J’ai aussi compris que l’alcool est un esprit et un ennemi implacable. Si je lui résiste – en croyant pouvoir le vaincre, il me battra à chaque fois. Par contre, lorsque je vois l’alcool comme un ennemi rusé, déroutant, puissant, alors je lui fais honneur et je le respecte comme un digne adversaire. C’est comme lorsque mes ancêtres ont compris qu’ils ne pouvaient pas lutter contre les fusils.
Ce que les AA m’enseignent est en parallèle di­rect avec mes traditions. Ils m’enseignent la beauté et la liberté du programme.

Jacquie

« Jamais dans ma vie quelqu’un m’a dit de ‘revenir’ ».

J’habite dans le village de New Aiyansh, au nord de la Colombie-Britannique, une communauté dans les territoires traditionnels de la Nation Nisga’a. Il n’y avait pas de réunions des AA actives au village lorsque mon style de vie m’a forcée à devenir abs­tinente. J’ai commencé à boire lorsque j’avais qua­torze ans. Au début, ce n’était que les week-ends. Je devais raconter des mensonges à mes parents sur l’endroit où j’allais ou sur ce que je faisais, et cela est devenu un modèle de duplicité que j’ai perfectionné avec le temps. Dès le début, j’étais une soûlonne toujours en perte de conscience ; j’en suis venue à vomir à cause du whisky que je partageais avec un cercle d’amis qui ne se doutaient pas que je n’avais que quatorze ans. Boire, c’était comme un rite de passage ; après cette première cuite, les autres ado­lescents qui me paraissaient cool et qui avaient une attitude que j’enviais m’ont acceptée. Sans alcool, j’étais désespérément timide et gênée.

J’étais une soûlonne fonctionnelle et j’ai réussi à obtenir mon diplôme de l’école supérieure et des certificats collégiaux, ce qui m’a permis de garder un emploi pendant la plus grande partie de ma car­rière de buveuse. Lorsqu’il semblait que j’allais me faire congédier parce que je buvais, je changeais d’emploi. Le temps est venu où je ne voulais plus vivre et où je ne pouvais pas voir comment la vie pourrait s’améliorer. J’avais connu bien des re­lations malheureuses et j’accusais les autres, les endroits et les choses de mes malheurs. J’ai tenté de me suicider, j’ai écrit des notes de suicide et j’ai compris que je ne pouvais même pas faire cela correctement. J’étais tellement en colère lorsque je revenais de l’hôpital après que l’on m’eut pompé l’estomac de quoi que ce soit que j’avais ingurgité pour en finir avec ma vie misérable. J’ai fait de nom­breuses cures géographiques, et ma dernière a eu lieu de Prince Rupert à New Aiyansh. Si je pouvais seulement m’éloigner de tous ces gens qui buvaient et de tous ces bars, ma vie serait peut être meilleu­re. J’ai essayé de boire de la bière ou de la boisson à base de vin au lieu du whisky ou de la vodka afin de tenter de contrôler mes pertes de mémoire, mais lorsque je suis revenue à la « maison », j’ai trouvé que ma consommation d’alcool avait augmenté. Je l’achetais maintenant de bootleggers. Je buvais à nouveau de l’alcool fort et j’étais malade et souffran­te. Au village, je travaillais dans un centre de santé où il y avait un psychologue qui m’a envoyé voir un thérapeute en alcool et drogues, qui me ferait en­trer dans un centre de traitement.

Je ne voyais pas l’utilité d’un centre de traite­ment ; je ne croyais pas avoir un problème d’alcool. Tout ce que je savais, c’était que j’avais besoin d’une pause de la vie. Je suis donc allée dans un centre de traitement pour, selon moi, des vacances bien mé­ritées et pour apprendre à « le » rendre abstinent
– (« mon être supérieur » qui conduisait un camion rouge).

J’ai été à nouveau initiée aux AA et j’ai écouté attentivement pour trouver des moyens d’aider mon partenaire du moment, me disant tout le temps : « Je ne suis pas si pire que cela… » J’avais encore un emploi, je payais encore mes factures et j’avais encore de la nourriture dans les armoires de cuisine. J’ai constaté dans la Quatrième Étape qu’il était ingérable de jongler avec les factures et d’avoir une caisse de whisky sur ma liste d’épicerie. À mon sens, c’était un comportement normal. Dix ans avant d’aller au centre de traitement, j’ai assisté à une réunion des AA avec un ancien ami qui vi­vait avec moi et qui n’était pas autochtone, et j’en ai conclu que les AA s’adressaient aux « blancs » ; tout le monde était bien vêtu et ils se connaissaient tous. Je me suis sentie rejetée et différente et donc, je n’y suis plus retournée. On m’a suggéré d’assis­ter à des réunions des AA en sortant du centre de traitement. Je n’avais pas de voiture et je me suis donc rendue à la réunion la plus près en auto-stop, ce qui représentait une route d’une heure et demie sur des chemins de terre. Comme ce ne croyais pas avoir quelque chose à offrir à quiconque, j’ai assisté aux réunions du débutant. J’ai été étonnée de la fa­çon dont j’ai été accueillie dans toutes les réunions où je suis allée, et on me disait sans cesse de reve­nir. Personne ne m’avait jamais dit de revenir dans un endroit.

Je commençais à accepter le fait que je puisse être une alcoolique et je voulais savoir comment démarrer un groupe des AA. On m’a invitée à une réunion de district. Je me suis sentie très honorée d’être invitée dans un endroit si exceptionnel, d’être assise côte à côte avec des AA « professionnels » qui souriaient toujours et dont le visage était rayon­nant. On m’a tout donné ce dont j’avais besoin pour démarrer un groupe, plus beaucoup de suggestions et de numéros de téléphones si j’avais besoin d’aide ou si j’avais des questions. Ils ont aussi ajouté des magazines Grapevine et des cassettes de conféren­ciers, ce qui m’a aidée à passer la nuit. Wow, j’étais rendue dans les grosses ligues. Je suis devenue RSG alors que je ne savais même pas ce qu’était un RSG, ce qui m’a éventuellement mené vers le tra­vail de service comme secrétaire, trésorière, RDR adjointe et RDR de mon district. Pendant que je servais au niveau du district, je n’ai manqué que 20 minutes d’une réunion de district – pour aller à la rencontre de mon très jeune petit-fils à l’aéroport. J’avais franchi une barrière que je croyais insur­montable. J’étais la première personne/femme des Premières Nations à avoir été élue RDR de notre district. J’ai pensé que nos membres devaient être fous pour m’élire, une femme indienne soûlonne de l’arrière-pays qui a franchi les portes avec le sen­timent que j’étais une nullité qui allait rapidement nulle part.

J’ai appris à exprimer mon opinion dans les as­semblées régionales. Grâce aux Douze Étapes, j’ai trouvé un mode de vie. Ma famille pouvait compter sur moi en temps de crises. Je suis devenue une bonne fille, une bonne sœur et une bonne mère, une bonne grand-mère et un être humain respec­table. Avant les AA, j’avais perdu trois frères et une belle-sœur dans le même accident de voiture. J’avais perdu la foi en Dieu. Avec cette foi restaurée en ma Puissance supérieure et avec l’abstinence, j’ai survécu à bien des décès dans ma famille sans prendre d’alcool. Les AA ont réagi avec compré­hension et sollicitude. Lorsque mon père est dé­cédé, les AA étaient là pour me soutenir et pour me réconforter. Les AA m’ont permis d’aller de l’avant, en me rappelant que je n’ai peut-être pas besoin des services généraux pour assurer mon propre rétablissement : « Nous en avons besoin pour assurer le rétablissement de l’alcoolique qui titube dans le noir à moins d’un coin de rue d’ici. Nous en avons besoin pour assurer le rétablisse­ment d’un enfant qui naît ce soir et dont le destin en fera un alcoolique. »

Plusieurs membres de ma famille ont trouvé l’abstinence après que je me sois jointe aux AA. Aujourd’hui, je veux remettre ce qui m’a été donné librement. Demeurer abstinente ouvre la voie vers la vie et le bonheur. Je dois aux Alcooliques anony­mes ma vie merveilleuse, et je suis vraiment recon­naissante.
Je m’appelle Jacquie et je suis une alcoolique, et fière d’être une femme Nisga’a.

Damian

« L’appel de l’alcoolisme était plus fort que celui de l’amour ».

Il n’est pas facile de grandir sans père et sans mère. Je viens d’une famille d’alcooliques ; même si ma mère était là, j’ai grandi aussi seul qu’il était pos­sible. Je n’ai jamais pensé que j’étais l’égal de mes pairs. Autour de moi, on me donnait des noms et on faisait montre d’un racisme flagrant. Mon sur­nom était « Petit indien stupide ». Lorsque j’étais à la maison, on m’appelait « va me chercher une bière » ; je ne savais pas que je ferais la même chose que faisait ma famille. Mon alcoolisme remonte à aussi loin que mon arrière-grand-mère, ce qui fait de moi la quatrième génération d’alcooliques. Dans mon cas, ce n’était pas une question de si, c’était une question de quand j’allais devenir cet « ivrogne d’indien ». J’ai fait taire mes émotions quand j’avais six ans, en raison d’un mélange d’abus multiples et de négligence. Ma mère dépensait jusqu’au dernier sou en alcool, ce qui m’a fait dire continuellement dans mon enfance, « J’ai faim ».

Lorsque je suis allé vivre chez ma tante, on m’a initié aux AA. J’étais l’enfant qui courait dans la salle pendant que ma tante assistait à la réunion. Elle m’a rapidement ramené chez ma mère car j’étais « trop difficile à contrôler ». Je n’ai jamais eu d’amis et je ne suis jamais resté assez longtemps dans la même école pour m’en faire. J’étais toujours un petit in­dien stupide ; ma famille était toujours considérée comme les ivrognes d’indiens. J’avais honte de ma famille. C’est ma mère qui a réveillé le monstre en moi, quand elle m’a invité à « prendre un verre avec eux » lors d’une soirée. C’est là que tout a commen­cé ; pendant 12 ans, j’ai fui l’étiquette « d’ivrogne d’indien » en devenant un ivrogne d’indien. Je n’ai jamais même tenté de contrôler ma façon de boire ; je recherchais l’oubli chaque fois que je buvais.

Je suis déménagé de chez ma mère pour vivre avec mon oncle, et les choses ont commencé à s’améliorer. Je l’aidais dans son service de traiteur et nous voyagions partout pour cuisiner pour di­verses occasions. Nous sommes mêmes retournés chez nous, aux Îles de la Reine Charlotte, sur une base assidue. La vie était bonne. Tout paraissait bien de l’extérieur mais à l’intérieur, il y avait la dou­leur, la honte, la culpabilité et tous les traits fami­liaux d’un jeune homme en colère. Mon oncle avait tout essayé au monde pour me soulager de cela. Je suis allé en thérapie, en thérapie artistique, en thé­rapie de gestion de la colère (ils m’ont chassé de cet endroit – j’étais trop en colère), en aide psychologi­que, rien n’y fit.

Le jour est venu où j’ai dû aller dans une famille d’accueil, car il n’y avait pas d’autre endroit. J’étais déjà allé dans d’autres familles d’accueil, mais rien ne se comparait à celle-ci. C’était des autres enfants dans la famille d’accueil dont je devais me méfier. Je devais être comme eux, ils refusaient de m’accepter si je ne l’étais pas. S’ils fumaient, je devais fumer, s’ils buvaient, je buvais aussi. J’étais un ivrogne à quatre pattes à treize ans. Je n’étais plus le petit in­dien stupide, j’étais membre de la famille. Je titubais dans les rues de Victoria avec les autres voyous, pour « boire sans toucher à la bouteille » comme nous disions. Il y a eu des fois où j’étais seul, mais j’étais bien avec ma bouteille, elle ne me criait pas de noms. J’ai rapidement progressé jusqu’à un sta­de désespéré d’alcoolisme, buvant parce qu’il fallait boire. Ma seule façon de satisfaire ma dépendance était de quêter. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que j’aurais dû me trouver à un autre endroit à mon âge
– je n’avais que dix-huit ans.

J’ai éventuellement eu mon propre appartement, avec l’aide du gouvernement, et mon propre télé­phone. C’était seulement un endroit pour boire en toute sécurité. Mon oncle a entendu parler de mon autodestruction et il m’a invité à rester à nouveau avec lui à Edmonton. J’ai refusé ; l’appel de l’alcoo­lisme était plus fort que l’appel de l’amour. J’ai fini par tout perdre. J’ai téléphoné à mon oncle et je lui ai demandé si son offre tenait toujours. Je suis dé­ménagé à Edmonton avec l’intention de m’éloigner de mon « ami ». J’ai emménagé avec mon oncle et à nouveau, la vie était belle. J’ai trouvé un travail, ins­taller des planchers de bois franc et j’avais mes pro­pres quartiers. J’ai vécu en cuite sèche pendant un an et demi, puis j’ai finalement invité mon « ami » et j’ai continué désespérément jusqu’à ce que je me retrouve à cette fourche de la route – soit me rendre jusqu’au bout, ou rechercher de l’aide.
Je me suis réveillé d’une longue cuite d’un week­end, pleurant et me disant : « Je ne veux plus vivre comme cela ! » J’avais atteint le fond de mes émo­tions. Je suis entré dans un centre de désintoxi­cation et on m’a initié aux AA. Je n’ai pas accepté le programme immédiatement ; je craignais la Quatrième Étape. Je suis finalement allé en traite­ment, où j’ai dû faire face à mon passé et le reléguer aux oubliettes. Je suis sorti du traitement et j’étais li­bre, car quelque part en route, j’ai perdu l’obsession de boire. À mesure que je suivais le programme des Alcooliques anonymes, la vie devenait de plus en plus facile. J’avais un but – j’avais une vie. J’ai dû obtenir de l’aide extérieure ; j’ai travaillé pour cor­riger mes défauts, en éteignant les feux les plus im­portants. J’ai enfin retrouvé la personne que j’étais avant ; une deuxième chance m’a été donnée par ma Puissance supérieure. Je pense à mon « ami » de temps à autres. Je le vois tout à fait à l’extérieur de ma vie. J’ai travaillé trop fort pour l’inviter à nou­veau.

Jennifer

« Pourvu que je me souvienne du premier mot de la Première Étape, je peux demeurer abstinente »

Je suis une femme Ojibwé de trente-quatre ans et je suis abstinente depuis huit ans. J’habite une ville de taille moyenne dans au nord de l’Ontario, à une courte distance en voiture de la réserve d’où vient ma famille. Je suis une mère-célibataire qui a le bonheur d’avoir trois filles merveilleuses et je suis reconnaissante d’être une membre active des Alcooliques anonymes.

Mes parents ont trimé dur pour donner une bonne vie à ma jeune sœur et à moi, et des perspec­tives d’avenir qu’ils n’ont pas eues. Nous avons été élevées à l’extérieur de la réserve, dans un environ­nement exempt d’alcool, et j’étais tout à fait confor­table et heureuse avec mon entourage. J’ai très bien réussi à l’école et j’avais de nombreux amis jusqu’à ce que nous déménagions au milieu de ma cinquiè­me année scolaire. Mes parents avaient terminé leur éducation postsecondaire et ils cherchaient un meilleur travail. Il va de soi que j’ai éprouvé beau­coup de ressentiment et j’ai écrit dans mon journal que je détestais tout le monde dans la vie, sauf mes deux amies. Je ne me suis pas très bien adaptée au changement et je suis devenue très maussade et égocentrique. Je n’avais pas besoin d’alcool pour me comporter en alcoolique.

J’ai connu ma première expérience avec l’alcool chez mon grand-père sur la réserve où nous allions tous les week-ends. Un membre de la famille y avait une réserve d’alcool et un jour, par curiosité, j’ai pris un verre. Je me souviens m’être couchée sur le terrain cet après-midi-là et avoir admiré le ciel bleu, les marguerites au vent et le sentiment de plénitude totale. J’ai fini par voler la bouteille et je l’ai cachée près d’une clôture pour la boire plus tard, ce que je n’ai jamais fait.

Au milieu de la septième année, il y a eu un autre déménagement et cette fois-là, c’était le retour à la « maison ». Je ne m’étais jamais considérée diffé­rente de mes compagnes de classe, mais lorsque nous sommes revenus à la réserve, j’ai éprouvé immédiatement un choc culturel. Je me vantais de mes prouesses académiques et j’ignorais tota­lement comment faire face aux intimidateurs qui m’ostracisaient en me traitant de « pomme » (peau rouge avec l’âme d’un blanc), et de quelqu’un qui était trop parfaite pour boire ou fumer. Je ne me suis pas fait d’amis et cela a été très difficile pen­dant un an et demi. J’avais déjà douze ans, je faisais beaucoup de ressentiment et j’affichais un air de su­périorité envers presque toutes les personnes que je rencontrais.

Pour la neuvième année, il m’a fallu partir dans un pensionnat situé à environ quatre heures de la maison. Cela aurait pu être une expérience extraor­dinaire car il y avait là des filles venues de partout sur le continent. Ce que j’en ai retiré, par contre, a été un mépris pour ma race. Je ne sais pas exac­tement comment cela est arrivé, mais je sais que j’avais honte d’être une autochtone. Mes résultats académiques et ma vie de famille isolée m’ont em­pêchée de me joindre à mes compagnes de classe dans les activités sociales, mais dans ma tête, je leur étais supérieure.

L’université m’a éloignée de la maison et j’y ai rencontré mon futur mari. Nous étions l’incarna­tion de ceux qui grimpent dans l’échelle sociale, un couple d’autochtones abstinents. Vu de l’extérieur, tout semblait bien aller, mais j’ai commencé à boire de façon incontrôlable alors que j’étais enceinte de notre deuxième enfant. Je cachais mes bouteilles et j’ai réussi miraculeusement à mettre au monde un enfant en santé, je suis restée à l’école et active dans la communauté. La vodka que je cachais sous ma coiffeuse était mon petit secret qui m’aidait à faire face aux sentiments que j’étais piégée et impuis­sante. Cela m’aidait à me rappeler ce sentiment de plénitude que j’avais déjà eu.

Mon petit secret a fini par devenir le sujet d’in­quiétude de tous ceux qui étaient près de moi. Par ma consommation d’alcool, je me suis exclue de l’école et de la communauté. Je suis devenue soli­taire et seul mon partenaire connaissait la quantité d’alcool que je prenais. J’étais une femme d’intérieur ivrogne, pendant que mon partenaire travaillait et devenait un membre productif de la société. Nous avons eu un autre enfant et par la grâce de Dieu, elle est en santé et c’est une heureuse enfant de dix ans qui n’a aucun souvenir de sa mère en état d’ébriété. Les deux aînées vont chez les Alateen depuis quatre ans et elles suivent leur propre pro­gramme. Dieu a placé des gens vraiment extraordi­naires sur notre route.

Après avoir quitté l’école, je crois que je n’ai pas été à jeun pendant les deux années suivantes. Je fonctionnais avec des trous de mémoire, je condui­sais mes enfants alors que j’étais ivre, jusqu’à ce que l’on me retire mes clés et l’accès aux comptes bancaires. J’ai commencé à boire de la Listerine après avoir mis des bijoux en gage. Cette folie a cessé lorsque mon mari en a eu assez et qu’il a ame­né les filles chez mes parents. Je me suis réveillée lorsque je suis revenue chez moi la maison vide, n’ayant aucune idée où étaient mes enfants. J’ai fait des séjours dans trois centres de traitement et je n’ai jamais été abstinente ; cela m’a permis d’être en contact avec les AA, par contre, et j’ai compris que j’avais une alternative. Il était possible d’être heureuse. J’ai éventuellement quitté mon mari et je suis déménagée près de la maison et de ma famille.

Je ne me suis pas maintenue abstinente avant d’avoir une marraine, un groupe d’attache et une nouvelle attitude, qui avait continuellement besoin d’ajustement. J’ai finalement compris que je suis une alcoolique, ni pire ni meilleure que les autres. J’ai une maladie et j’ai la responsabilité de la trai­ter. Il n’y a aucune honte à cela. Pourvu que je me souvienne du premier mot de la Première Étape et que je fasse ce que j’apprends, je peux rire de moi-même et demeurer abstinente. On m’a enseigné comment être active dans le service et j’ai pris une filleule récemment, une autre jeune amérindienne. Je fais des ménages pour payer le loyer, mais j’ai réussi à obtenir mon diplôme (dix ans plus tard) et j’élève mes filles pour qu’elles deviennent de jeunes autochtones très fières. Plusieurs possibilités s’of­frent à moi dans le futur, mais je dois me rappeler que je dois tout cela aux Alcooliques anonymes et à ma Puissance supérieure.

Karen

« L’alcool… était un médicament pour ma raison, mon cœur et mon esprit confus. »

J’ai été élevée par une grand-mère très tradition­nelle qui croyait en la puissance de la prière et en sa nécessité. Grand-maman avait une prière pour le lever d’un nouveau jour, pour sa vie, pour la Mère Terre, pour tous les enfants et les enfants de leurs enfants, pour ses moutons, pour sa maison, pour le feu qui servait à préparer sa nourriture, pour l’eau qu’elle faisait bouillir pour son café, pour les tapis qu’elle tissait. Elle avait une prière pour tout – un mode de vie qu’elle a pratiqué tout au long de ses 102 ans. Elle n’a jamais pris une goutte d’alcool de toute sa vie, et elle a ardemment combattu l’alcool et l’alcoolisme. Un grand nombre de ses frères et sœurs, de ses enfants et petits-enfants buvaient de façon alcoolique ou étaient des alcooliques.

Je ne sais pas pourquoi je suis devenue alcooli­que, mais je sais que mon alcoolisme a commencé bien avant que je prenne mon premier verre d’alcool. Grand-maman m’a élevée et j’ai passé les quatre ou cinq premières années de ma vie presque seule avec elle. Je la regardais et je l’observais qui priait tous les jours, partout, tout le temps. Elle croyait aux cé­rémonies traditionnelles et à leur puissance, et elle avait le plus grand respect et la plus grande considé­ration pour la médecine traditionnelle et les prières. Je n’avais absolument aucun lien avec les prières et les coutumes de grand-maman. Je ne ressentais rien, sauf une torpeur face à tout cela. Je me sentais dif­férente et pas à ma place. Dans mon for intérieur, je pensais que grand-maman n’était qu’une vieille folle car je voyais ses lèvres bouger tout le temps. Je sais maintenant qu’elle était en profond recueillement.

Puis, vers six ou sept ans, j’ai dû quitter le seul foyer et le seul mode de vie que je connaissais, même si je ne le comprenais pas, pour aller dans un endroit encore plus étrange – le pensionnat, pour être édu­quée par des Chrétiens. Pendant près de dix ans, je suis devenue encore plus confuse et mêlée à force de vivre et de respirer dans ce pensionnat. On m’a dit et répété que le mode de vie ancien et païen de grand-maman était faux et qu’il ne sauverait pas mon âme. Je ne savais pas qu’il fallait sauver mon âme, mais j’étais intriguée, surtout parce que je me sentais inconfortable et déconnectée de la vie. Ma grand-ma­man me manquait plus que tout au monde et tout ce que j’avais pour me réconforter étaient les souvenirs de ces premières années avec elle, et en grandissant, j’ai développé un grand respect pour elle.

Vers 15 ou 16 ans, j’ai pris mon premier verre d’alcool et c’était un médicament ; un médicament pour ma raison, mon cœur et mon esprit confus. J’ai ressenti l’aisance et le confort qui apparaissent aus­sitôt, qui sont décrits clairement et succinctement dans le Gros Livre des Alcooliques anonymes. J’ai commis des actes inappropriés et déplaisants, j’ai eu des pertes de mémoire et j’ai été malade phy­siquement, mais cela ne semblait pas m’affecter tellement car la magie du médicament était plus puissante. Quand j’avais de l’alcool dans le sang, je ne me sentais plus différente, étrange ou dé­connectée. Tout dans ma vie était devenu clair et coloré comme du cristal, comme passer du mono à la stéréo. J’ai bu de l’alcool pour des effets médi­cinaux jusqu’à ce que la clarté et la couleur devien­nent bizarres, étranges et déconnectées. La magie de l’alcool ne fonctionnait plus. J’étais encore plus confuse et à cela s’ajoutaient la douleur, la honte et le remord.

La première fois que j’ai entendu parler des AA, c’était dans les salles des Al-Anon. Le conférencier décrivait la maladie de l’alcoolisme de telle façon que mon cœur confus et blessé, que ma tête et mon esprit ont vu l’espoir du rétablissement. Le conférencier avait dit que si vous croyez avoir un problème d’alcool, les AA peuvent aider. J’ai com­mencé à aller aux réunions des AA, non pas parce que je croyais que j’étais alcoolique, mais parce que le message d’espoir était si attrayant et semblait tel­lement mieux que là où j’étais. J’étais dans le déses­poir le plus complet, dans la solitude la confusion, la honte et l’impuissance, et je n’avais que 24 ans.

Lorsque j’ai entendu les mots dans Notre Méthode, j’ai vraiment attendu et espéré le moment où j’apprendrais la méthode. Je retournais pour vi­vre ce moment. Je n’ai pas compris que la méthode était lue à toutes les réunions. J’ai tout fait de tra­vers pendant ces premières années d’abstinence, sauf que je n’ai pas bu. On m’a dit que je réussis­sais, même si tout ce que je faisais était m’abstenir de boire, un jour à la fois. Je n’ai pas pris de mar­raine et je n’ai pas fait les Étapes. Je n’ai pas pris de numéros de téléphone ni parlé à d’autres. Je n’ai même pas acheté un Gros Livre. Tout ce que je fai­sais, c’était ne pas boire. Rester abstinente a résolu bien des problèmes, mais pas tous. Je ne savais pas comment vivre sans boire. J’avais besoin d’aide, mais j’étais trop orgueilleuse pour en demander. J’ai commencé à comprendre que les AA étaient consti­tués de blancs et que leurs propos ressemblaient à ceux des Chrétiens qui m’ont dit à maintes reprises que la façon d’agir de grand-maman était ancienne et païenne, et qu’elle ne sauverait pas mon âme.

Je suis allé à beaucoup de « campouts » AA pour les amérindiens. Là, j’ai pu entendre la partie de la Troisième Étape qui parle d’un Dieu tel qu’on le conçoit, parce que c’est dans ces campouts AA pour les amérindiens que mon cœur a commencé à en­tendre des mots comme Grand-père et Créateur au lieu de Dieu. J’ai appris que cela signifiait la même chose et que c’était correct d’appeler Dieu par n’importe quel nom de mon choix. Cela a ouvert la porte à l’exploration d’une relation avec un Dieu comme je le comprends. Aujourd’hui, j’appelle mon Dieu « Créateur ». J’en suis venue à développer une relation des plus précieuses avec mon Créateur. Ma compréhension du Créateur m’a permis de deman­der de l’aide de quelques marraines. J’ai travaillé pour faire les Étapes et je continue de le faire. La première fois que j’ai fait les Étapes, j’ai appris que toute mon angoisse existentielle avec le monde ex­térieur, qui était blanc, se rapportait à toute la haine que j’avais envers moi. J’ai pu libérer beaucoup de cette haine et laisser mon cœur se remplir de lu­mière et d’amour – la plupart du temps. La grand-maman que je croyais être juste une vieille folle, c’est ce que je suis aujourd’hui. Je suis ma grand-maman. Je me conduis avec dignité et respect, et je marche en priant chaque jour. J’ai une relation avec le Créateur, avec les autres et avec moi-même. Mon cœur s’est adouci pour moi et les autres. Je suis une femme Diné abstinente qui respecte le sens de ma tribu, Todiicheeni (Eau amère), comme l’un des quatre premiers clans créés par la « Femme chan­geante » depuis les temps immémoriaux. Merci, les Alcooliques anonymes et mon Créateur, pour ce don précieux.

Dwayne

« Les gens m’ont témoigné de la bonté et j’ai appris à faire confiance à l’homme blanc. »
Je suis un micmac des Premières Nations de Red Bank au Nouveau-Brunswick, Canada, et je suis un alcoolique. J’ai constaté plus jeune la destruction que pouvait causer l’alcool. J’ai vu des femmes bat­tues, des travailleurs sociaux amener mes amis au loin, des querelles violentes, des gens qui n’avaient rien et des policiers qui arrêtaient des gens sur ma réserve. Je me suis dit que je ne deviendrais jamais comme ça. J’ai fait exactement cela, et pire.
Je viens d’une grosse famille – six filles et qua­tre garçons. Mes parents étaient sévères, mais en rétrospective, je constate qu’ils essayaient de nous protéger de tout ce qui se passait sur la réserve. Mon père était un alcoolique et donc, l’alcool m’a affecté avant que je prenne un verre.

J’ai grandi dans l’insécurité. J’avais une faible es­time de moi-même et j’ai subi beaucoup d’intimida­tion. J’étais le chouchou du professeur et j’étais très intelligent. C’est peut-être pour cette raison que l’on me harcelait tellement. J’étais isolé de mes amis car mon père était très sévère. Nous travaillons toujours dans la cour pendant que les autres enfants jouaient à cache-cache. Je ne me sentais pas à ma place.

J’ai pris mon premier verre vers quinze ans. Je me souviens seulement que j’ai eu de la difficulté à l’avaler, mais le feeling que j’ai eu après – je suis tombé amoureux de ce feeling ! Ma timidité, ma faible estime de moi et mon insécurité ont disparu. J’ai commencé à avoir des problèmes avec la loi et l’on m’a arrêté pour consommation d’alcool en étant mineur. Je suis directement passé à un mode de vie criminel avec des effractions et des batailles. J’essayais d’avoir la réputation d’un gars endurci parce que j’avais été victime d’intimidation plus jeune. Toute la rage de mon enfance remontait à la surface lorsque je buvais. Pour la première fois, j’avais l’impression de faire partie des gens qui fai­saient la fête.

J’ai obtenu mon diplôme de l’école supérieure et j’ai pris un cours à l’université. J’aimais tellement faire la fête en ce temps là que je n’étudiais pas – rien ne comptait sauf la fête. J’ai décidé de voyager et de visiter les différentes réserves autour de chez moi. J’ai fait bien des choses dont je ne suis pas fier dans ces réserves – comme me battre, lancer des insultes, voler et manquer de respect envers les gens. Pour quelqu’un qui avait une si faible estime de lui, je semblais imbu d’égoïsme et d’orgueil. La morale et les normes dans lesquelles j’ai été élevé disparaissaient rapidement lorsque je buvais. Je traitais mes amis alcooliques, des voyous, mieux que je traitais ma propre famille.
La police m’a arrêté et je me suis retrouvé de­vant le juge à quelques reprises. Je suis même allé en prison, mais pas pour longtemps. J’ai atteint le bas fond de nombreuses fois et j’ai choisi d’ignorer les signaux routiers que le Créateur m’avait donnés.

Le 11 juillet 1999 est ma date d’abstinence, et cette date contribue à me maintenir abstinent aujourd’hui. C’est le jour où ma vie était devenue si incontrôlable que j’avais l’impression de ne plus vivre. J’avais 25 ans et j’avais fait la fête pendant dix ans. Je n’en pouvais plus. J’ai pleuré devant le miroir ce matin là, en voyant ce que j’étais devenu. J’avais honte, j’étais seul, j’avais peur et j’étais vidé. Je me suis regardé dans les yeux et, les larmes coulant sur mes joues, j’ai dit : « Il faut que tu changes, tu ne peux plus continuer à te faire mal ainsi ». C’est alors que j’ai laissé le Créateur entrer dans ma vie. J’ai rendu les armes et je savais que j’étais battu. Il m’a maintenu en vie tout au long des violentes confron­tations et des accidents. J’ai demandé de l’aide à mon père, abstinent depuis 11 ans à ce moment-là, et il m’a dirigé vers un centre de désintoxication. Je suis allé dans un centre de traitement et j’ai constaté que j’étais un alcoolique. Je n’étais pas une mauvai­se personne, j’étais une personne malade.

Nous avons assisté à des réunions des AA au centre et lorsque je suis sorti, je suis allé aux réu­nions partout. Je faisais de l’auto-stop pour aller aux réunions malgré la pluie, la neige, la chaleur et le froid. Je n’avais pas de voiture, de femme, d’enfants ni de maison. Je n’avais même pas de permis de conduire. Les gens me témoignaient de la bonté et j’ai appris à faire confiance à l’homme blanc. J’ai fré­quenté des membres qui avaient une belle qualité d’abstinence et qui suivaient leur programme. Nous sommes allés à des rassemblements, à des appels de Douzième Étape et à des anniversaires. J’ai connu les épreuves de la rupture, de la mort et des problèmes financiers sans devoir prendre un verre ou de la drogue. Je le dois au programme des AA. Si je devais faire le décompte des bienfaits que j’ai reçus, j’en aurais jusqu’à demain. J’assiste encore à 3 ou 5 réunions par semaine.

Je me suis marié cette année à une belle femme micmac, belle à l’intérieur et à l’extérieur. Je suis le beau-père de son fils et j’en suis honoré. J’accorde beaucoup d’importance à la famille. J’aime ma fa­mille aujourd’hui et je ne leur tourne plus le dos. Tout cela à cause des AA dans ma vie. Tous les champs de pétrole au Texas ne peuvent acheter l’abstinence, il faut la gagner en travaillant fort. Je ne pourrai jamais remettre aux AA tout ce que j’ai reçu, cela m’a été donné. J’espère que je n’oublierai jamais d’où je viens et où j’ai obtenu de l’aide.
Wellalin (merci en micmac).

Johnny

« Pas pour le restant de ma vie, juste un jour à la fois ».

« Ndaw Aptozhi », est souvent ce que j’utilise pour me décrire envers les autres membres de ma tribu. Ces mots sont souvent traduits dans un sens néga­tif, comme « sang mêlé », pour désigner quelqu’un qui a un parent indien et l’autre non-indien. Mais cela veut vraiment dire « je marche sur deux sen­tiers », l’un blanc et l’autre indien.
Cela veut aussi dire que je ne vis jamais pleine­ment dans un monde ou dans l’autre, et pendant longtemps, je m’en suis servi comme d’une excuse pour boire. La plupart de mes parents indiens et blancs buvaient, et je me souviens qu’il y avait sou­vent des enterrements de personnes qui « avaient bu jusqu’à la mort ». Ce n’est pas avant que je joigne les AA que je me suis rappelé ces mots, qui étaient trop souvent murmurés lors des funérailles d’in­diens, « il ou elle a bu jusqu’à la mort ».

J’avais quatre ans lorsque je suis allé en Oklahoma pour les funérailles de mon oncle, mort à 36 ans en laissant sept enfants. Mon père a dû aider à creuser la tombe par un matin froid et pluvieux du printemps. Je connaissais les dangers du sang de­puis que je m’étais coupé sur un couvercle de boîte de café peu avant le décès de mon oncle, et d’une certaine façon, j’ai connecté cet événement avec la mort de mon oncle, même si dans mon jeune esprit, je ne comprenais pas la finalité de la mort. Lorsque mon père est entré dans la maison de grand-maman après avoir creusé la tombe, il semblait couvert de sang. Maman m’a dit plus tard que je me suis mis à crier car je croyais que mon père mourrait aussi. Mais ce n’était que la boue rouge foncé qui couvrait mon père après la corvée du creusage.

J’ai connu très tôt ce que signifiait boire et mourir chez mes proches, mais cela ne m’a quand même pas empêché de suivre la route de l’alcool. Peu importe qu’à l’âge d’à peine dix-huit ans, nous ayons déjà enterré deux oncles, plusieurs cousins et beaucoup d’amis.

« Boire jusqu’à la mort » étaient des mots qui se cachaient derrière le suicide, les accidents de voi­tures, un taux élevé de diabète et des attaques car­diaques. Par contre, malgré tout, j’ai été le premier dans ma famille à terminer l’école supérieure et à aller au collège. Il y a eu des années où je n’ai pas bu, et il y avait de l’espoir que j’échapperais au sort de tant d’amis et de parents sur le territoire indien. Au moment où j’ai entrepris mon baccalauréat pour pouvoir enseigner, je me suis éloigné de la voie spi­rituelle et je me suis perdu. Je savais que c’était mal de boire, mais après près de huit ans d’abstinence, je me suis arrêté en chemin vers la maison, une maison vide, et j’ai acheté une bouteille. Assis dans le noir, à boire, j’avais l’impression que quelqu’un me surveillait, et lorsque je me suis tourné vers la lumière, il était là : un rat blanc.

Mon voisin d’appartement gardait un rat comme animal de compagnie et il s’est sauvé et a trouvé son chemin dans les calorifères des murs jusque dans l’appartement. Je savais que c’était un signe d’alcoo­lisme de boire seul, alors le rat blanc et moi, nous nous sommes saoulés. Au moins, je ne buvais pas seul, voilà jusqu’où va la folie de l’alcoolique.

Au cours des dix-huit ans qui ont suivi, je me suis marié trois fois, je suis allé deux fois en réhabilita­tion, j’ai été arrêté pour conduite en état d’ébriété, et je suis entré et sorti des AA sans me décider à suivre les Douze Étapes. J’ai dû cesser de boire « pour le restant de ma vie » une douzaine de fois, et pas une fois je n’ai réussi. J’ai connu de nombreuses expériences, mais je n’étais pas en état de voir ces événements pour ce qu’ils étaient, des signes qui me disaient que la piste de l’Indien ne comprend pas d’alcool.

Finalement, j’étais seul un jour dans un appar­tement dans la ville, séparé de ma troisième fem­me, lorsque je me suis rendu pieds nus et titubant dans le terrain de stationnement. Tout ce que je me souviens de cette dernière arrestation, c’est le po­licier qui me demande «  Parles-tu anglais ? » Pour quelqu’un à la peau foncée, ces mots veulent aussi dire : « Mets tes mains derrière le dos, tu t’en vas en prison ». Lorsque je suis sorti le jour suivant avec une condamnation pour état d’ivresse sur la voie pu­blique, ma femme m’a fait entrer dans une maison de transition et quelques semaines après, j’ai pris l’engagement de rester abstinent, un jour à la fois. Pas pour le restant de ma vie, simplement un jour à la fois.

J’ai eu la chance de trouver un ami indien qui avait accumulé de nombreuses années d’abstinen­ce et qui m’a servi de parrain chez les AA et, à la façon indienne, d’agir comme l’oncle que j’avais perdu pour cause d’alcoolisme il y avait tant d’an­nées. Pour des Indiens, je crois que des parents abstinents sont la clé pour trouver l’abstinence et s’y maintenir.

À travers le pays, ces Indiens luttent contre l’al­coolisme et ils promettent des réserves sans alcool et des communautés sans alcool, et ils ont un suc­cès étonnant d’abstinence à long terme. Quant à moi, je veux laisser un héritage d’abstinence et non que ma famille murmure ces mots terribles que j’ai entendus trop souvent lorsque j’étais enfant. Je ne boirai pas jusqu’à en mourir.

Je suivrai deux pistes, mais la piste indienne est marquée par les Douze Étapes en route vers une vie spirituelle grâce à la communauté des Alcooliques anonymes.

Elizabeth

« Plus de honte ni de peur ! »

Je suis Ojibwé, née à Red Lake, Ontario, près d’une petite réserve. Je suis certaine que mes parents ont fait de leur mieux avec ce qu’ils avaient, mais com­me ils manquaient de débrouillardise, l’alcool a pris le contrôle de leur vie. Nous avons abouti loin de la réserve, dans un petit village dans une autre pro­vince. Éventuellement d’autres enfants sont nés ; j’ai donc quatre sœurs et un frère. Nous avons tous fini en foyers d’accueil. J’en ai eu plusieurs dans ce petit village.

Autour de moi, personne n’a jamais compris ce que c’était que d’être amérindien ou ce que cela re­présentait pour moi. Ils m’ont ridiculisée au point où j’ai eu honte de ce que j’étais. Ils me disaient : « Tu n’es qu’une sale sauvage. » « Les Indiens ne de­vraient pas boire parce que l’alcool les rend fous. » « Tu n’es pas à ta place ici ! Retournons-la chez ses semblables ! » Je pourrais vous en citer bien d’autres. Je me souviens de l’impression que j’avais quand les enfants plus âgés me crachaient dessus et qu’on me lançait des objets à cause de la couleur de ma peau. Je me croyais maudite et aucun adulte autour de moi ne me disait le contraire.

Malgré cela, dans mes rêves et mes souvenirs, j’entendais ma mère et les anciens chanter nos chants et raconter nos histoires. J’imaginais la ré­serve et la liberté que j’y avais. Je gardais tout cela en moi sans jamais en parler à personne.

Adulte dans la trentaine, j’avais perdu le contrôle de ma vie. J’ai suivi la voie de mes parents, à une ex­ception près : je n’avais pas d’enfants. J’ai toujours voulu trouver ma place et appartenir à quelqu’un. L’alcool faisait que je gardais mon héritage bien en­foui en moi. Je vivais sans passion, sans joie et sans amour. Je repoussais les gens, mais en même temps, je criais en moi mon désir de trouver quelqu’un ou quelque chose. Je ne voulais plus avoir honte. Je voulais m’en libérer. Mais comment ? Comment al-lais-je faire ?

Barman, un autre verre, et un autre et encore un autre… Le bar va fermer. Pas de problème, j’ai ma réserve à la maison. Je peux rentrer chez moi et boire toute la nuit jusqu’à ce que ne sente plus rien. Peut-être que ce soir, quelqu’un ou quelque chose viendra me sauver.

Je perds conscience, encore une fois, bien seule. Je reprends conscience, encore seule. J’ai mainte­nant honte de moi. Je ne peux me regarder dans le miroir. Je commence à me haïr et à haïr ce que je suis devenue. Je hais le monde entier. Pourtant, j’es­père toujours un contact avec quelqu’un, quelque part ou quelque chose.

Il me faut un verre pour démarrer la journée. Je le sens descendre dans mes veines. Enfin, je me sens de nouveau engourdie. Je m’habille, je m’or­ganise pour la soirée et je pars au travail. Au tra­vail c’est l’enfer, car j’ai réussi à me mettre tout le monde à dos. Je m’en fous. La journée achève et je pourrai bientôt boire. C’est ainsi que ce sont dérou­lés les huit derniers mois de ma consommation. Je ne veux jamais oublier combien je me sentais seule et honteuse.

Enfin, c’est le 4 janvier 1997 que j’ai pris mon dernier verre. Ce fut la cuite de toutes les cuites. J’ai partiellement perdu conscience et je me suis mis à frapper tout ce qui bougeait autour de moi. J’étais devenue l’indienne folle qu’ils avaient dit que je deviendrais. Je ne me souviens plus, mais il semble que je hurlais dans ma langue maternelle. J’ai réussi à appeler un taxi et une fois à la maison, je me souviens avoir regardé dans le miroir. J’ai vu dans ma face une horreur indescriptible. Je me suis vue enfant en train de pleurer. Puis, j’ai vu à quel
point j’étais maintenant laide. J’ai fracassé le miroir. Je voulais mourir, mais je voulais aussi vivre. Que faire ?

J’ai failli perdre la raison en pensant au sui­cide, mais j’ai continué à boire et j’ai fini par per­dre conscience. Quelques heures plus tard, je me suis traînée hors du lit, j’ai pris un autre verre et je me suis endormie. J’ai rêvé que les anciens dan­saient autour de moi. C’était magnifique. Ils m’ont accueillie. J’ai senti mon corps guéri. J’ai ressenti l’amour et la paix comme jamais auparavant. J’ai entendu une musique que je n’ai jamais entendue depuis. Je me suis sentie libérée de la honte et de la haine. Le bison blanc est apparu et m’a dit : « Tu dois rentrer et raconter ton histoire. » J’ai crié : « Non ! Je veux rester ici. » Les anciens ont dit : « Nous t’accompagnerons sur ta route. » Je me suis éveillée et j’ai pleuré comme jamais auparavant. Je ne voulais pas retourner dans mon enfer.

J’ai réussi à me lever, à prendre une douche, à m’habiller et ensuite, une force plus grande que moi a versé tout l’alcool dans l’évier. J’ai tellement pleuré que j’en suis devenue malade et que je me suis endormie. J’ai dormi pendant dix heures. Je n’avais pas fait ça depuis bien longtemps. Je me suis éveillée, j’ai pris une douche et j’ai mangé un repas complet, ce que je n’avais pas fait depuis des mois. Je ne sais pas comment j’y suis arrivée, une force extérieure le faisait pour moi.

J’ai compris que je n’y arriverais pas seule. J’ai donc appelé la ligne d’écoute des AA et j’ai assis­té à une réunion le soir même. C’était le 6 janvier 1997. C’était une petite réunion sur le Gros Livre à laquelle assistaient une dizaine de personnes. Tour à tour, ils lisaient un paragraphe du Gros Livre et le commentaient. Quand mon tour fut venu, j’ai lu et j’ai ensuite dit : « Je m’appelle Elizabeth, je suis une alcoolique, et je crois que je vais vomir. » Un hom­me m’a dit : « N’est-ce pas libérateur de le savoir ? » Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie à ma place et j’ai su que tout irait pour le mieux.

Ça allait devenir ma tribu. Je viens ici depuis ce jour et je commence à retracer mes racines. Je comprends ce que les anciens attendent de moi. J’espère continuer à faire honneur à mon peuple, par ma tribu, sur la piste rouge du rétablissement.

Écureuil noir

« … j’ai volé sur le dos de l’aigle et j’ai été mené vers le feu sacré où j’ai appris un nouveau mode de vie. »

Je suis Anishnabe (Ojibwé) ; je suis né en Californie, mais j’ai grandi dans la réserve de mon père, dans le nord de l’Ontario au Canada. Je me souviens de mon premier verre ; mon cousin flânait sur la route et bu­vait ce mauvais vin que nous avons sur la réserve. Il m’a offert un verre et j’ai pensé : « Je suis arrivé ! » parce que mon cousin avait environ 20 ans et que je devais en avoir à peine 12 et qu’il m’offrait un verre. Quel plaisir de sentir l’alcool dans mon corps, ce plai­sir que je suis venu à reconnaître comme l’illusionnis­te, le coyote ; ce ne serait pas notre seule rencontre, en fait, nous sommes devenus grands copains.

J’ai continué à boire et mon amitié avec le coyote a grandi, il m’a appris à mentir, à voler et à blâmer les autres – ce qui allait devenir ma façon de vivre. J’ai suivi cette mauvaise piste et j’ai migré avec le troupeau. Ce n’est qu’au moment où j’ai renoué contact avec ma sœur que j’ai entendu parler de la piste rouge du rétablissement. Encore une fois,  l’il­lusionniste, le coyote, m’a convaincu que j’étais dif­férent de ceux qui suivaient la piste rouge. Je savais que je valais mieux que les gens qui assistaient aux réunions. Je n’ai jamais vu les similitudes, je ne voyais que les différences.

Je n’avais pas besoin de demander de l’aide, c’était pour les faibles. Même si je continuais d’as­sister aux réunions, je n’ai rien changé. On se sent fort à marcher sur le chemin solitaire de la vie, ne voyant que ce qui est en avant de nous, jamais ce qui nous entoure. J’ai marché sur l’accotement de la piste rouge pendant 18 mois, mais j’ai été attiré une fois de plus par l’illusionniste (coyote) et j’ai recom­mencé à boire. Je suis resté à l’écart pour un bout de temps, mais je savais que je pourrais retrouver le goût de la piste rouge qui m’avait été donné si je pouvais simplement croire au Créateur (nanubush), les Grands-pères des quatre directions, et aussi pui­ser la force dans la Terre Mère. J’ai fait mes offran­des de tabac et mes prières par le sweetgrass et la sauge et j’ai commencé à ériger une fondation qui allait grandir dans ma nouvelle vie – mais encore une fois le coyote a montré son horrible visage et j’ai recommencé à errer avec la meute.

Seul une fois de plus, vivant sur un banc public, convaincu de ne jamais atteindre ce que la piste rouge m’offrait et que je ferais toujours partie de la meute de l’illusionniste, j’ai prié le Créateur et les Grands-pères des quatre directions. Aussi ra­pidement que le vol de l’aigle, mes prières ont été exaucées et j’ai été dirigé vers un centre de rétablis­sement au centre-ville de Toronto. C’est là que j’ai appris à croire en moi ; c’est là que j’ai confronté l’il­lusionniste et que je l’ai informé que je ne ferais plus partie de sa meute. J’ai trouvé la piste rouge, j’ai volé sur le dos de l’aigle et j’ai été mené vers le feu sacré où j’ai appris un nouveau mode de vie. Je marche maintenant avec l’assurance de l’ours, je nage avec l’énergie du saumon. J’ai pu constater les erreurs de mon mode de vie et j’ai reçu la force d’admettre mes torts, et de cela je suis reconnaissant. Chaque jour, je dois me battre contre le coyote, mais parce que j’ai étudié les Douze Étapes des AA avec mon parrain et que je suis prêt à partager avec un autre membre ce qui souille la vallée de mon esprit, je peux avancer, fier et la tête haute. Aujourd’hui, je ne vois pas la vie à travers vos yeux mais à travers les miens ce qui me permet de voir toute la route et non seulement ce qui est devant moi.  Chi meegwetch

Lynn

« Ma soif sera toujours assouvie si je m’efforce de me mettre en état de lâcher prise et de gratitude ».

Vers la fin de l’après-midi, le troisième jour d’août, j’ai entendu le sifflet qui indiquait que ma Quête de Vision allait se terminer. Le groupe d’amis qui m’avaient emmené dans la forêt allaient venir me chercher pour me ramener à la hutte de sudation où j’allais partager les événements des trois der­niers jours. La Quête est un moment de souvenance et de communion avec la nature. C’est le moment de révélation pendant laquelle la connexion avec le Grand Esprit permet de clarifier ce que plusieurs tribus autochtones d’Amérique appellent la grande « piste rouge» ou la voie de la destinée d’une vie.

Ce n’est que tard dans la vie que j’en suis venu à la Quête de Vision et à l’abstinence. Je suis né et j’ai grandi dans l’ouest de l’État de New York dans une famille baptiste fondamentaliste et, enfant, je n’avais aucune idée de ma lignée autochtone ou de la possibilité d’explorer cette tradition. Mon arriè­re-grand-mère était pure Tuscarora et s’était établie en Pennsylvanie au moment où la tribu a émigré des Carolines vers l’Ouest de l’état de New York et le Sud de l’Ontario, où elle s’est mariée, a élevé sa famille et entrepris d’explorer sa lignée autochtone en compagnie d’un autre membre de la famille qui partageait cet intérêt. Encore aujourd’hui, le désir de connaître ces relations est toujours présent. Enfant, j’étais fasciné par tout ce qui était amérin­dien, et j’ai passé bien des heures à imaginer que je vivais selon les mœurs autochtones. La première fois que j’ai entendu jouer de la flûte amérindienne, j’ai été transporté au loin et j’ai ressenti une relation immensément paisible avec le passé.

Malheureusement, j’ai aussi ressenti une con­nexion immédiate avec l’alcool la première fois que j’ai en consommé avec des amis, vers l’âge de douze ans. Dès ce moment, j’ai développé avec l’alcool une relation si intime qu’on pourrait la qualifier d’ob­session. Je me tournais vers l’alcool quand j’étais heureux, quand j’avais de la peine, besoin de me donner du courage, de justifier des décisions, de calmer mes douleurs, de fuir la réalité, de fortifier une relation et pour tout autre raison que me dictait mon délire. Aujourd’hui, je comprends bien que ce délire servait bien mon désir de refaire une réalité que je ne pouvais pas accepter et me permettait de justifier la dépendance physique dont mon corps était affecté. Quoi qu’il en soit, l’alcool était un arrêt de mort en suspens. J’ai bu beaucoup au collège, dans la vingtaine et au début de la trentaine et je n’ai pas essayé de me rétablir avant l’imminence de la naissance de ma fille. Au cours des vingt années qui ont suivi, il y a eu des périodes sèches, mais pas de véritable abstinence. Le peu de dignité qui me restait dans la vie avait été perdu et tout sens de l’honneur était enfoui sous la culpabilité et les remords. Puis, vint un moment de profond déses­poir où le germe du changement a pris racine et j’ai commencé à croire « qu’une Puissance plus grande que la mienne pouvait me rendre la raison ». Dans mon cas, le Grand Esprit m’a offert de combler un vide qu’aucun autre système de croyances ne pou­vait combler. J’ai accepté son offre et depuis lors ma Quête de vision initiale, le puits où je peux trouver réconfort et conseil n’a cessé de grandir. Ma soif sera toujours assouvie si je m’efforce de me mettre en état de lâcher prise et de gratitude.

Mon abstinence s’érige sur les pierres angulai­res des Deuxième et Troisième Étapes du program­me des AA. La présence d’un être ailé, un totem de l’Aigle Rouge dans ma vie, me dit que le temps du changement spirituel est venu et que ce change­ment s’appuie sur mes intentions. J’ai maintenant confiance que le Grand Esprit me donnera tous les signes dont j’ai besoin pour poursuivre mon che­minement sur la grande piste rouge. Que le Grand Esprit vous guide aussi.
Mitakuya Oyasin (nous sommes tous parents).

Angela

« Ma première cuite ressemblait à ma der­nière, totalement pitoyable, incompréhensible et démoralisante. »

Je suis une alcoolique, je suis une femme et je suis Autochtone. C’est l’ordre que m’a suggéré ma mar­raine. Quand je suis devenue abstinente, il y a 19 ans, je voulais être une femme amérindienne qui était une alcoolique en rétablissement. Ma mar­raine, qui a reçu le présent de l’abstinence en 1955, m’a enseigné que je devais mettre mon alcoolisme en premier, ma condition de femme en second et que je pourrais peut-être alors m’identifier comme Amérindienne en dernier. Dieu merci, elle m’a ap­pris à mettre de l’ordre dans mes priorités. Grâce à son amour et à sa connaissance du programme de rétablissement des AA, j’ai pu rester dans les salles des Alcooliques anonymes même si je savais que j’étais différente des autres membres des AA.

J’ai grandi dans une réserve amérindienne et je voyais rarement, même jamais, des gens qui n’étaient pas amérindiens. Mon enfance a été meu­blée de merveilles, de soleil et de famille. Mon premier verre a été merveilleux. Je me suis sentie heureuse, chaude et invincible. Je riais. C’était le matin. À mesure que le temps passait, l’effet s’est dissipé, j’ai dégrisé, et j’ai eu besoin de retrouver cet effet, ce que j’ai fait. Je suis allée dans plusieurs bars d’où j’ai été chassée, étant trop jeune pour boire de l’alcool. Mais, dans le dernier de ces bars, plusieurs hommes m’ont accueillie et m’ont payé la bière – j’avais 12 ans. Plusieurs heures ou jours plus tard, je me suis éveillée avec la gueule de bois, malade, à plusieurs kilomètres de mon point de départ. J’avais perdu la notion du temps, mes chaussures et mon âme. Ma première cuite ressemblait à ma der­nière, totalement pitoyable, incompréhensible et démoralisante. Ma première cuite a été le sommet de ma carrière de buveuse – la descente aux enfers a duré 26 ans sans jamais s’améliorer. Je n’ai jamais retrouvé cette impression de bonheur, de chaleur et d’invincibilité.

À plusieurs reprises au cours de ces 26 ans, des professionnels – juges, avocats, officiers de libé­ration, conseillers en toxicomanie et alcoolisme – m’ont suppliée, priée, menacée. Ils me disaient que j’avais un terrible problème d’alcoolisme que je ne pouvais ou ne voulais pas le voir. Je pensais qu’ils devraient se mêler de leurs affaires et me laisser tranquille. Ma famille était désespérée. Ils ne com­prenaient pas pourquoi je ne pouvais pas garder mes emplois, fonder une famille, payer mes factu­res, obtenir un permis de conduire, sortir de l’itiné­rance ou éviter la prison.

J’étais tout de même assez intelligente, assez jolie, et je ne buvais pas tous les jours. Je me mentais à moi-même. Au moment où j’ai voulu devenir abstinente, la plupart de mes chances de vivre heureuse étaient passées ; du moins, je le croyais. Après tant d’années passées dans un bas-fond, l’idée que ma vie pourrait changer si je me soumettais à un programme simple qui me promettait une relation avec une Puissance supérieure me semblait faible et pathétique.

J’ai fait la connaissance de ma marraine après un an d’abstinence. Elle n’a jamais relevé que j’étais amérindienne et le fait que j’étais une ivrogne sans avenir, sans abri et sans travail ne l’intéressait pas. Elle m’a dit de lire, d’écrire et de prier. Elle m’a fait marrainer d’autres femmes ; elle m’a fait par­ler de moi, des bons et mauvais côtés. Elle voulait que j’assiste à autant de réunions que possible, que je partage aussi honnêtement que je le pouvais qu’un miracle était survenu dans ma vie grâce aux Alcooliques anonymes. Elle m’a appris à manifes­ter ma gratitude en montrant aux autres femmes ce que les Étapes pouvaient faire dans leur vie – en faire de meilleures mères, de meilleures épouses et de meilleures filles. Elle m’a appris à bien me vê­tir et à arborer un sourire pour donner espoir aux autres femmes qui avaient besoin de réconfort. Elle m’avait dit que j’avais le droit d’être triste, en colère, ou d’avoir le cafard, tant que je savais qu’il y avait un Dieu pour me soulager et m’aider.

Elle m’a aimée au point de me faire connaître une vie qui dépasse mes rêves les plus fous. J’ai appris à surmonter la peine du décès de mon frère à cause de l’alcool et du décès de ma mère et de mon père. J’ai eu la merveilleuse tâche d’élever six garçons en famille nourricière. Je suis allée au collège et j’ai ob­tenu des diplômes qui m’ont permis de revenir sur ma réserve et d’y être un actif et non un fardeau.

Ma marraine est décédée il y a quelques années, après 46 ans d’abstinence, mais ce qu’elle m’a laissé ainsi qu’à d’innombrables autres hommes et fem­mes qu’elle a marrainés est toujours présent. Je suis reconnaissante pour sa bonté et sa patience. Elle a fini par reconnaître que j’étais amérindienne, mais elle n’en a pas fait de cas. À cette époque, cela n’avait pas d’importance pour elle ou pour moi. L’important était que j’étais juste une autre alcooli­que qui était prête à tout pour demeurer abstinente. La beauté des Alcooliques anonymes est qu’ils fonc­tionnent pour tout le monde, peu importe la race, l’orientation sexuelle, l’importance de votre fortu­ne, que vous ayez fait de la prison ou que vous viviez dans un château. La grâce de Dieu est accessible à chacun de nous.

Douglas

« Je vis un jour à la fois et je reviens toujours. »

Je suis né dans la réserve Round Valley et mon père a participé à l’accouchement. À l’âge de sept ans, mon père et ses amis m’ont fait connaître l’alcool. Ils aimaient offrir de la bière à mon frère et moi et nous regarder caracoler. Le vendredi soir, ma mère et moi et mes huit frères et sœurs allions at­tendre mon père à la porte du bar, mais la plupart du temps, il sortait en cachette par la porte arrière et nous ne le voyions plus jusqu’au dimanche soir après avoir bu son chèque de paie.

J’ai fréquenté la Sherman Indian School de Riverside jusqu’à ce que le gouvernement n’y em­mène des amérindiens de l’Arizona et du Nouveau-Mexique, et que je doive rentrer chez moi pour terminer mes études secondaires. À l’époque, je ne buvais que pendant les week-ends. Nous deman­dions à des blancs (des coursiers) de nous acheter de l’alcool parce qu’à ce moment, les amérindiens n’avaient pas le droit d’en acheter.

J’ai reçu une bourse d’étude de football d’un col­lège local, jusqu’à ce qu’on me chasse deux fois de la ville parce que j’étais ivre sur la réserve. Je me suis enrôlé dans les Marines et ma carrière de bu­veur a pris de l’ampleur. En tant que militaire, j’avais désormais le droit d’acheter de l’alcool chaque jour. La Police militaire venait me chercher en ville quand j’étais ivre et me ramenait à la base pour que je puisse prendre mon tour de garde. J’ai été envoyé en Corée et j’ai vu ma section entière mourir. J’ai écarté mon Dieu et j’ai continué à boire autant que je le pouvais. J’avais perdu confiance en la vie et je voulais mourir. Ma carrière de buveur a duré 44 ans.

La justice m’a imposé d’aller aux AA. J’avais le choix entre cinq ans de prison ou une liberté condi­tionnelle de cinq ans et suivre un programme qui m’aiderait. Je ne voulais pas perdre ma liberté. Les policiers pouvaient m’intercepter à tout moment, même sentir mon haleine. S’ils détectaient une odeur d’alcool, c’était la prison pour des années. Je n’avais pas le droit de fréquenter des gens qui bu­vaient et l’on a suspendu mon permis de conduire. Alors, limité comme je l’étais, que pouvais-je faire ?

Je suis arrivé chez les AA avec plus de réserves que la plupart des amérindiens visitent pendant toute leur vie. Des blancs n’ont dit que je n’étais pas différent. Que nous étions tous semblables. Ma cu­riosité a été piquée par cette observation. C’est sûr que j’étais différent. Les blancs pouvaient acheter de l’alcool alors que je n’avais pas le droit d’entrer dans un bar. Sur ma réserve, les seules personnes qui avaient un emploi travaillaient pour des blancs. Les blancs étaient plus riches et ils avaient le contrô­le. Une grande partie de ma période de probation a fait que j’ai changé ma façon de penser.

Quand un blanc m’a approché et m’a dit « Tu as besoin d’un parrain, ami amérindien, et c’est moi. » J’ai accepté. Il m’a emmené à des réunions trois fois par jour pendant un an et il m’a tout appris du pro­gramme des Alcooliques anonymes. Nous avons passé des heures dans son salon à étudier les onze premiers chapitres du Gros Livre. Ma première tâche a été de lâcher prise. Le tribunal m’avait déjà aidé à le faire. Les partages que j’ai entendus lors des réu­nions et en lisant le Gros Livre m’ont enseigné que je n’étais pas différent. J’étais malade et j’ai eu la chance d’entendre cela parce j’ai lâché prise, retrouvé mes esprits et que ma Puissance supérieure s’est manifes­tée au cours des 252 réunions auxquelles j’ai assisté pendant mes premiers 90 jours.

J’en suis venu à vouloir autre chose aux réunions que de faire signer ma carte. Je voulais ce qu’ils avaient. Eux, c’était des battants. Ces membres des AA étaient heureux sans boire. Dans le temps, je n’étais heureux que lorsque je buvais sans arrêt. Ce que j’ai appris c’est que la consommation d’alcool n’était que le symptôme de ma maladie. Les Étapes m’ont protégé de moi-même. Les salles de réunions ont déclenché mon introspection.
Les AA m’ont donné une nouvelle vie. Cette année, j’ai marqué mon 33e anniversaire d’abstinence conti­nue. Je transmets le message à nos populations amé­rindiennes sur leurs réserves, je parraine des gens et j’ai fait de nombreuses années dans les services généraux. Plus que jamais, j’aime assister à des réu­nions, mais je dois admettre que sans ma Puissance supérieure, à qui j’ai confié ma volonté et ma vie, je ne connaîtrais pas la gratitude dans ma vie présente. Je vis un jour à la fois et je reviens toujours.

Caron

« Je me considère vraiment privilégiée… de transmettre le message de rétablissement à de nombreux amérindiens. »

Je suis une « gosse de l’armée », la plus jeune de huit enfants. Née en Arizona, j’ai grandi en Oklahoma. Mon père était un Comanche pur-sang et ma mère, Oto et française. Ils ont fait connaissance au Haskell Institute au Kansas et ils s’y sont épousés avant no­tre arrivée, les « petits diables de Haskell ». À ma naissance, ils étaient tous deux alcooliques actifs.

J’ai commencé à boire la bière, l’alcool et le vin de mon père à l’âge de quatre ans. Il y avait toujours de l’alcool à la maison. J’ai vécu dans un milieu vio­lent, hostile et alcoolique, ce qui semblait normal pour notre fratrie. Dès notre jeune âge, nous avons été traumatisés pas nos parents qui étaient eux-mê­mes traumatisés. Mon père souffrait du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) suite à la guerre et ma mère avait été traumatisée par le pensionnat depuis sa première année. Je souffrais de troubles émotifs.

J’ai commencé à boire de l’alcool à l’âge de six ans. Je ne savais ni lire, ni écrire, ni épeler, donc, je ne sais pas ce que je buvais. Je mettais de l’eau dans les bouteilles pour que ça ne se remarque pas. À douze ans, j’étais déjà une alcoolique consommée. Je n’ai pas vraiment eu d’enfance. J’avais trop honte pour inviter les autres chez moi. Quand nous som­mes rentrés en Amérique, j’ai commencé à danser en costumes pour tenter de retrouver mes « racines amérindiennes ». Je buvais chaque jour. Je ne savais pas qui j’étais, où j’allais ni ce que je faisais. J’avais de la facilité à l’école, et j’ai eu de bonnes notes et réussi mes classes. J’ai découvert « les fêtes et les aventu­res d’un soir » quand j’ai commencé à assister à des powwows. À seize ans, je fréquentais les bars réser­vés aux adultes de 21 ans et plus. Ma consommation d’alcool a augmenté de façon alarmante !

À dix-huit ans, j’ai été arrêtée pour la première fois pour conduite en état d’ébriété. À 21 ans, je me suis mariée pour fuir l’enfer de la maison. Mon mari était maître de cérémonie dans les powwows et je me suis lassée des danses. J’ai rencontré mon se­cond mari au bar « Crazy Horse ». Mon deuxième mariage ressemblait en tout point à celui de mes parents : ivre et toxique. À 29 ans, j’ai été arrêtée pour la deuxième fois pour conduite en état d’ébrié­té. À ma troisième arrestation pour la même raison, j’avais trente-quatre ans au moment du décès de ma mère. C’était elle qui tenait la famille. Après sa mort, la famille s’est naturellement séparée. Mon père est mort dix mois plus tard. J’ai commencé à me saouler régulièrement à en perdre la mémoire. J’ai pris l’habitude des relations éphémères. Mon premier vrai rendez-vous, je l’ai eu à trente-six ans. Nous sommes devenus des amis de beuverie et je suis devenue en même temps semblable à mon père et à ma mère. Je souffrais tellement que je fai­sais souffrir mon entourage. Il a fini par me quitter parce que « je buvais ».

À trente-huit ans, j’ai atteint mon bas-fond émotif. Je me suis réveillée à l’hôpital avec un taux d’alcoo­lémie de 0,38 ! Ma première expérience spirituelle a été ma dernière « prière du désespoir ». Je priais, à genoux sur le lit de ma cellule. J’ai dit : « Mon Dieu, si tu me fais sortir de cette prison, je promets d’aller en traitement et chez les AA . » Mon avocat s’est présenté et m’a dit qu’il paierait ma caution si j’allais en traitement et chez les AA.

J’ai assisté à ma première réunion des AA trois jours après être sortie de prison. J’ai compris en me présentant que j’étais une alcoolique. À cet instant précis, j’ai ressenti un changement magnétique dans tout mon corps. Quand ils m’ont demandé de parta­ger, j’ai éclaté en sanglots. J’avais honte. Pendant mon traitement, j’ai commencé à confronter les émotions qui avaient donné naissance aux querelles avec mes petits amis et mes maris. J’avais eu une enfance si malheureuse que j’avais choisi de l’occulter et de ne pas y faire face. J’étais paralysée, pleine de cicatrices suite aux abus émotifs, physiques et sexuels que j’avais subis. J’avais reproduit la vie de mes parents dans mes mariages et relations ratés.

En traitement, j’ai appris que je boirais jusqu’à la mort, jusqu’à la folie ou jusqu’à mon rétablisse­ment. Aujourd’hui, je sais que la souffrance s’efface quand on y fait face. Au début, j’avais de la difficulté à m’identifier aux Alcooliques anonymes, car je n’y rencontrais jamais d’amérindiens dans les réunions. Il y en avait un de temps en temps. Aujourd’hui, dans les réunions des AA que je fréquente, il y a toujours de cinq à dix amérindiens. Je suis la directrice du cen­tre de réinsertion pour amérindiens de l’Oklahoma.

J’ai fait du service pendant six ans dans mon pre­mier groupe d’attache. Je viens d’entreprendre un mandat de deux ans comme RSG au district et je suis la présidente du Comité du Grapevine de mon district. La pratique des Douze Étapes me garde abs­tinente. Je me considère privilégiée d’avoir servi de conduit pour transmettre le message de rétablisse­ment à de nombreux amérindiens. Je vous souhaite le même cheminement « indigène » que j’ai connu.

Esther

« Des amis partout. »

Je suis née dans un petit village de la région d’Un­galik, Alaska, environ 725 kilomètres au Nord-ouest d’Anchorage. Je suis une Athabaskane, aujourd’hui gestionnaire prospère. Mais, il y a quelques années, j’avais de la difficulté à faire face au quotidien.

Dans ma jeunesse, j’ai été élevée par ma grand-mère qui m’a appris les traditions athabascanes. Je savais que j’étais différente. Quand j’étais jeune et que je fréquentais l’école à Anchorage, j’ai été la ci­ble de propos raciaux de la part des autres enfants. Comme il n’y avait pas beaucoup d’activités pour les autochtones de l’Alaska, j’ai dû me débrouiller du mieux que j’ai pu pour survivre. J’ai décidé que je devais m’assimiler à la société des blancs. Ce n’était pas une bonne idée car j’avais la peau brune, les cheveux noirs et des traits qui n’étaient pas cauca­siens. Je me contais des histoires. En mon for inté­rieur, je le savais, mais j’ai fait ce choix.

Adolescente, j’ai découvert que l’alcool augmen­tait mon bien-être. Je me sentais plus confiante et je communiquais plus facilement avec les autres.

Je travaillais à Anchorage à des programmes sociaux et éducatifs pour les gens de l’Alaska et les autochtones. Je me sentais « chez moi » avec le personnel en grande partie autochtone. J’étais bien fière d’aider d’autres autochtones à se procurer de la nourriture, un logement et du travail. La vue des autres dont la situation était pire que la mienne m’empêchait de voir ma consommation d’alcool qui augmentait. Quand mon alcoolisme est devenu pu­blic, j’ai craint de perdre mon emploi. C’est donc la peur qui m’a mené aux portes des AA.

Un jour, dans mon salon, j’ai su que je ne pou­vais pas vivre avec l’alcool, ni m’en passer. J’avais été arrêtée pour conduite en état d’ébriété, mais j’ai honnêtement cru qu’il me fallait cesser de conduire et non de boire. Mon mari, aimant et patient, a fini par me dire : « Va chez les AA, ou sors d’ici. »

J’ai prié un Dieu qui me semblait m’avoir aban­donnée il y a bien longtemps et j’ai eu assez de courage pour prendre le téléphone. J’ai appelé les Alcooliques anonymes, on m’a présenté une femme blanche abstinente depuis environ deux ans. Cette femme avait l’air en pleine forme. J’ai eu de la diffi­culté à croire qu’elle avait un problème d’alcool. Son histoire ressemblait à la mienne – des problèmes constants à la maison, au travail et avec la loi.

Ma première réunion des AA m’a semblé bien étrange. Les gens étaient tellement heureux et sem­blaient tellement bien, tout le contraire de moi. J’ai apprécié me faire dire qu’on m’aimait, que je devais revenir et prendre des numéros de téléphone.

Au cours de ma première année, j’ai pris une marraine et j’ai travaillé les Douze Étapes. Après deux ans d’abstinence, j’ai rendu visite à ma mère qui vit dans un état côtier du Nord-ouest. J’ai com­pris quelle terreur j’ai dû faire subir à ma mère. Je lui téléphonais toujours de l’Alaska quand j’étais saoule, aux petites heures du matin. Bien sûr, je me ne souvenais pas de ce que je lui disais, mais je sa­vais que je lui faisais une crise de larmes. Un matin au petit-déjeuner, j’ai annoncé à ma mère que j’étais membre des AA. Comme elle était restée proche de ses racines autochtones, j’ignorais comment elle allait réagir. À mon grand étonnement, elle était ra­vie. Elle connaissait les AA par sa meilleure amie qui faisait partie du programme et lui en avait parlé. Elle m’a dit qu’elle ne s’inquiéterait plus pour moi quand je voyagerais, car j’aurais des amis partout.

J’ai vu beaucoup d’autochtones d’Alaska entrer chez les AA, soit au sortir d’un centre de traitement ou par leurs propres moyens. Les autochtones d’Alaska prennent de plus en plus leur place com­me chefs chez les AA et demeurent abstinents en mettant en pratique les principes des AA.

Je n’entends plus « Je ne peux pas rester absti­nent chez les AA car c’est un programme pour les blancs » aussi souvent qu’avant parce que les AA donnent des résultats sans égard à la couleur, à la nationalité ou au sexe.

J’essaie de parler avec les nouveaux qui sont autochtones et les présenter aux autres. Il m’arrive qu’on me demande de parler à un autochtone qui a besoin d’aide. Je suis la marraine de plusieurs fem­mes autochtones car lorsque des questions cultu­relles de présentent, on se comprend mieux entre femmes autochtones abstinentes.

Comment trouver les AA

Presque partout aux Etats-Unis ou au Canada, vous trouverez un numéro de téléphone pour rejoindre les AA dans l’annuaire téléphonique local. Si vous décidez d’appeler, vous serez mis en contact avec un autre alcoolique. Et votre appel demeurera confidentiel – vous n’avez pas à donner votre nom. Demandez seulement où trouver une réunion des AA.

Où que se réunissent les groupes des AA, ils n’ont qu’un seul but : aider les alcooliques à demeurer abstinents. Les groupes des AA se réunissent un peu partout. Certains tiennent leurs réunions dans des écoles ou des églises ; d’autres groupes des AA se réunissent dans les hôpitaux ou même des édifices à bureaux. Il est important de savoir qu’un groupe des AA n’est pas affilié à l’église, à l’école ou au service gouvernemental où il se réunit.

Certains d’entre nous ont assisté à notre première réunion des AA dans un hôpital, une prison ou un centre de traitement. Avant de quitter ces lieux, nous avons appris comment rejoindre les AA dans la localité où nous allions habiter. Certains d’entre nous avons découvert les AA par le biais de conseillers à l’école ou au travail. Plusieurs personnes entendent parler de nous par leur médecin ou par un ami. 

S’il n’existe pas de groupe des AA près de chez vous, il est toujours possible d’obtenir de l’aide. Le site Web des AA se trouve au www.aa.org. Vous pouvez aussi écrire à Box 459, Grand Central Station, New York, NY 10163. C’est l’adresse postale du Bureau des Services généraux des AA. Les membres des AA qui y travaillent partageront leur expérience avec vous. Ils seront aussi heureux de vous faire des suggestions pour créer un groupe des AA.

LES DOUZE ÉTAPES DES ALCOOLIQUES ANONYMES

1.      Nous avons admis que nous étions impuissants devant l’alcool – que nous avions perdu la maîtrise de notre vie.

2.      Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison.

3.      Nous avons décidé de confier notre volonté et notre vie aux soins de Dieu tel que nous Le concevions.

4.      Nous avons procédé sans crainte à un inventaire moral approfondi de nous-mêmes.

5.      Nous avons avoué à Dieu, à nous-mêmes et à un autre être humain la nature exacte de nos torts.

6.      Nous étions tout à fait prêts à ce que Dieu élimine tous ces défauts.

7.      Nous Lui avons humblement demandé de faire disparaître nos défauts.

8.      Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avons lésées et nous avons consenti à réparer nos torts envers chacune d’elles.

9.      Nous avons réparé nos torts directement envers ces personnes dans la mesure du possible, sauf lorsqu’en ce faisant, nous risquions de leur nuire ou de nuire à d’autres.

10.   Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus.

11.    Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevions, Lui demandant seulement de connaître Sa volonté à notre égard et de nous donner la force de l’exécuter.

12.    Ayant connu un réveil spirituel comme résultat de ces étapes, nous avons alors essayé de transmettre ce message à d’autres alcooliques et de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines de notre vie.

LES DOUZE TRADITIONS DES ALCOOLIQUES ANONYMES

1.      Notre bien-être commun devrait venir en premier lieu ; le rétablissement personnel dépend de l’unité des AA.

2.      Dans la poursuite de notre objectif commun,il n’existe qu’une seule autorité ultime : un Dieu d’amour tel qu’il peut se manifester dans notre conscience de groupe. Nos chefs ne sont que des serviteurs de confiance, ils ne gouvernent pas.

3.      Le désir d’arrêter de boire est la seule condition pour être membre des AA.

4.      Chaque groupe devrait être autonome, saufsur les points qui touchent d’autres groupes ou l’ensemble du Mouvement.

5.      Chaque groupe n’a qu’un objectif primordial,transmettre son message à l’alcoolique qui souffre encore.

6.      Un groupe ne devrait jamais endosser oufinancer d’autres organismes, qu’ils soient apparentés ou étrangers aux AA, ni leur prêter le nom des Alcooliques anonymes,de peur que les soucis d’argent, de propriété ou de prestige ne nous distraient de notre objectif premier.

7.      Tous les groupes devraient subvenir entièrement à leurs besoins et refuser les contributions de l’extérieur.

8.      Le mouvement des Alcooliques anonymes devrait toujours demeurer non professionnel, mais nos centres de service peuvent engager des employés qualifiés.

9.      Comme mouvement, les Alcooliques anonymes ne devraient jamais avoir destructure formelle, mais nous pouvons constituer des conseils ou des comités de service directement responsables envers ceux qu’ils servent.

10.     Le mouvement des Alcooliques anonymesn’exprime aucune opinion sur des sujets étrangers ; le nom des AA ne devrait donc jamais être mêlé à des controverses publiques.

11.      La politique de nos relations publiques estbasée sur l’attrait plutôt que sur la réclame ; nous devons toujours garder l’anonymat personnel dans la presse écrite et parlée de même qu’au cinéma.

12.      L’anonymat est la base spirituelle de toutesnos traditions et nous rappelle sans cesse de placer les principes au-dessus des personnalités.

                  

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